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Alors les effets des années et des excès se font sentir, son médecin et ami Pardon prescrit à Maigret du repos et un « bon nettoyage de l’organisme ». Le voici donc en cure à Vichy pour vingt et un jours en compagnie de Mme Maigret, l’occasion de renouer avec l’Allier où il est né et où il n’est pas revenu depuis L’affaire Saint-Fiacre. Alors que le temps s’écoule lentement, entre longues promenades, passages aux fontaines, siestes et dîners légers à l’hôtel, l’assassinat d’une femme apparemment sans histoires, qui loue des chambres aux curistes, intrigue Maigret au point de se mêler, d’abord en simple curieux, puis en « conseiller » officieux, à l’enquête que mène le commissaire Lecoeur, un de ses anciens inspecteurs à la PJ.

Maigret à Vichy
La source dans le parc thermal.

Louis Pélardeau, un riche industriel, a été assez naïf pour tomber dans les filets de deux sœurs, en apparence empreintes de respectabilité, qui font preuve d’une étonnante habileté à la manipulation. Êtres sans scrupules, elles exercent sur lui pendant plusieurs années un chantage à l’affection avant que le hasard d’une rencontre n’entraîne le drame. S’il n’est pas question pour Maigret, à qui pourtant l’oisiveté forcée ne convient guère, d’organiser des planques ou des filatures, ni d’interroger les rares témoins, il va s'efforcer de percer la personnalité de la victime et d’établir le profil de son assassin, un exercice dans lequel il excelle. C’est aussi l’occasion pour lui d'observer, et d’apprécier, la façon dont procède l’un de ses anciens collaborateurs. Un interrogatoire « à la chansonnette » que mène Lecoeur par téléphone est d'ailleurs un brillant hommage à son ancien patron!

Si Maigret à Vichy présente un homme vieillissant rattrapé par ses abus alcooliques et tabagiques – nous ne sommes pas ici dans une « enquête au calvados ou au vouvray » mais à l’eau minérale – le roman dépeint aussi une certaine nonchalance : il fait beau au bord de l’Allier, la vie s’écoule paisiblement et le commissaire est heureux de déambuler, en veste légère et chapeau de paille, dans les allées du Parc thermal, Mme Maigret à son bras. Le roman devient ainsi celui du renouveau : alors que la retraite approche et que l’attend la petite maison de Meung-sur-Loire, Maigret, qui a peut-être comme l'écrit Michel Carly « le sentiment d’avoir oublié de vivre à force d’entrer dans l’existence des autres ? »  décide finalement de se prendre en main, de ne pas mettre en péril les années qui sont devant lui.

Plutôt mourir jeune qu’entrer en « état de maladie ».

Il appelait « état de maladie » cette partie de l’existence pendant laquelle on écoute son cœur, on est attentif à son estomac, à son foie ou à ses reins, avec, à intervalles plus ou moins réguliers, l’exhibition de son corps nu au médecin.

Il n’avait plus envie de mourir jeune, mais il repoussait le moment d’entrer en maladie. (2007-VIII: 894)

Cette dernière participation de Maigret à une enquête se déroulant hors de Paris clôt les « scènes de la vie de province ». Simenon a écrit le roman peu de temps après un séjour en famille dans la ville thermale et c’est certainement ce qui lui donne sa légèreté, cet atmosphère de vacances qui accompagne les Maigret. Tout comme dans Maigret s’amuse, on sent ici la tendresse et la complicité d’un couple qui n’est jamais aussi uni que quand il se promène, à Paris ou ailleurs :

Ils marchaient, d’un pas nonchalant. De temps en temps, ils s’arrêtaient, non pas parce qu’ils étaient essoufflés, mais pour regarder un arbre, une maison, un reflet de lumière ou un visage. (2007-VIII : 890)

Georges Simenon, Maigret à Vichy © Presses de la Cité 1967 et Omnibus, 2007

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Le 4 février 2022 a eu lieu à Cusset (Allier) une fiction judicaire montée par Simenon en Bourbonnais, une  association qui perpétue le souvenir du séjour de Georges Simenon dans l’Allier, au château de Paray-le-Frésil, modèle de celui de Saint-Fiacre. Il s’agissait d’imaginer ce qu’aurait pu être le procès de Louis Pélardeau, qui, dans Maigret à Vichy, est arrêté pour avoir tué Hélène Lange, une femme qui, après avoir été sa maitresse, l'a escroqué pendant plusieurs années. Organisé avec la participation des magistrats du Tribunal judiciaire et des membres du barreau de Cusset, le procès, suivi par plus de quatre cents personnes, a fidèlement respecté le déroulement d’un procès d’assises : tirage au sort des jurés, auditions des témoins et de la partie civile (la sœur de la victime), réquisitoire de l’avocat général , plaidoiries de l’avocate de la partie civile et des défenseurs de l’accusé, délibéré et verdict.

Ceux qui connaissent le roman voient en Pélardeau un homme honnête terriblement naïf trompé par une femme exerçant sur lui un chantage à l’affection. D’autres peuvent considérer son acte comme un féminicide inexcusable. A la fin du roman, Maigret dit à sa femme : « J’espère qu’il sera acquitté... ». S’il est difficile de suivre le souhait du commissaire – les faits sont là : Pélardeau a tué – on peut penser que le jury aurait davantage pris en considération les raisons de son geste et fait preuve de plus de mansuétude qu’en le condamnant à 14 ans de réclusion criminelle.

Maigret n’est que témoin dans cette affaire, son séjour à titre personnel à Vichy ne lui permettant pas de contribuer à l'enquête du commissaire Lecoeur. C’est pourtant lui qui, en cernant la personnalité de la victime, va mettre son ancien collaborateur, devenu chef de la Police judicaire de Clermont-Ferrand, sur les traces du meurtrier. On peut dès lors se demander ce qu’aurait fait ce « raccommodeur de destinées », plus à même de connaitre la vie des gens qu’un juge d’instruction « cantonné dans son cabinet où tout ce qui avait été de la vie venait se résumer dans les phrases compassées de rapports officiels », seul face au meurtrier de Mlle Lange ?

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Tag(s) : #1967, #Scènes de la vie de province, #Presses de la Cité, #Bourbonnais
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