Un meurtre dans un train de luxe débouche sur une affaire d’escrocs internationaux entre Paris et Fécamp, avec pour toile de fond les palaces fréquentés par le monde et le demi-monde mais aussi des quartiers peuplés d’immigrés miséreux.
La première enquête de Maigret écrite par Georges Simenon débute gare du Nord avec la découverte du corps d‘un homme dans les toilettes de L’étoile du Nord, un train Pullman reliant Amsterdam à Paris via Bruxelles, et se poursuit dans un hôtel de luxe des Champs Elysées où la présence du Commissaire ne passe pas inaperçue parmi la clientèle élégante.
« Regardez-moi ça !… » Avait dit le matin une cliente du Majestic.
Mon Dieu oui ! « Ça », c’était un policier, qui essayait d’empêcher des malfaiteurs d’envergure de continuer leurs exploits, et qui s’acharnait à venger un collègue assassiné dans ce même palace !
« Ça », c’était un homme qui ne se faisait pas habiller par un tailleur anglais, qui n’avait pas le temps de passer chaque matin chez la manucure et dont la femme, depuis trois jours, préparait en vain les repas, résignée, sans rien savoir.
« Ça », c’était un commissaire de première classe aux appointements de deux mille deux cents francs par mois qui, une affaire terminée, les assassins sous les verrous, devait s’attabler devant une feuille de papier, dresser la liste de ses frais, y épingler les reçus et pièces justificatives, puis se disputer avec le caissier ! (2007-I : 85)
Après une incursion dans le monde de la nuit rue Fontaine à Pigalle et une descente de police dans un hôtel de dernier ordre de la rue du Roi-de-Sicile dans le Marais, l’enquête se conclut à Fécamp (où Simenon situe Au rendez-vous des Terre-neuvas), entre une villa luxueuse au sommet des falaises, les quais autour des bassins du port, les quartiers de pécheurs et leurs bistrots.
Le roman propose une évocation du monde cosmopolite du Paris des années 30 où les étrangers étaient les bienvenus à condition d'être riches, mais où les réfugiés polonais, baltes, russes et juifs s'entassaient dans des garnis insalubres du Marais. Ce que le juge Coméliau résume d’une phrase lapidaire : « Que diable tous ces étrangers viennent-ils faire chez nous ? ».
Pietr le Letton est également un roman de jeunesse avec des rebondissements et des coups de théâtre, des meurtres et des drames : Maigret est grièvement blessé et l’inspecteur Torrence tué. Avec aussi les stéréotypes de l'époque quand Simenon évoque le « ghetto », le quartier juif du Marais. Comme le souligne Jean-Louis Robert :
Mais le passant maigretien se voit proposer un monde qui lui est étranger. La langue, les produits, les modes de vie attestent une culture autre qui est décrite avec une évidente xénophobie. Partout « des boutiques aux inscriptions en yiddish, des boucheries casher, des étalages de pain azyme », « des produits dont le nom même est inconnu des Français », « on lisait des inscriptions en hébreu, en polonais, en d’autres langues incompréhensibles, vraisemblablement en russe aussi ». Un monde qui ne prend pas le chemin de l’intégration, où les gosses ne savent « pas un mot de français ». Et « tout cela se retrouve à l’ombre de Notre-Dame de Paris », à quelques pas du pur chef d’œuvre de l’esprit français ! (Maigret à Paris, in Sociétés & Représentations 2004/1(n°17), pages 159 à 169. Editions de la Sorbonne)
Georges Simenon, Pietr le Letton © Paris, Fayard, 1931 et Omnibus, 2007.
Cinq raisons de lire (ou relire) Pietr le Letton
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