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La première enquête de Maigret1 que découvrent les lecteurs en 1931 le conduit à Sancerre où un paisible représentant de commerce, Emile Gallet, a été assassiné dans sa chambre d’hôtel. Elle se révèle vite être une histoire sordide mêlant vrai ou faux suicide, changement d'identité, escroquerie et chantage. L'intrigue, complexe, évolue dans le monde clos et étriqué de l’aristocratie provinciale et de petits bourgeois sans scrupules, médiocres, mais soucieux de respectabilité.

 

Chaque affaire criminelle a sa caractéristique, qu’on saisit plus ou moins vite et qui donne souvent la clé du mystère.

Est-ce que la caractéristique de celle-ci n’était pas la médiocrité ?

Médiocrité à Saint-Fargeau ! Ville médiocre ! Décor étriqué avec le portrait du gamin en premier communiant et le père en jaquette trop étroite sur le piano !

Médiocrité encore à Sancerre. Villégiature à bon marché ! Hôtel de second ordre !

Tous les détails venaient alourdir cette grisaille !

Représentant de la maison Niel : fausse argenterie, faux luxe, faux style ! (2007-I : 256)

Personne n’est épargné, ni le fils Gallet et sa maîtresse, petits boursicoteurs dont les rapports sont « réglés comme ceux de deux associés dans une affaire commerciale », ni la famille de Mme Gallet, bouffie de respectabilité, ni la veuve elle-même pour qui la dignité n'est pas « un vain mot » :

Pour Mme Gallet, du moins, Maigret était désormais fixé. C'était une femme d'une cinquantaine d'années, franchement désagréable. Malgré l'heure, la chaleur, la solitude de la villa, elle était déjà armée d'une robe de soie mauve et pas un de ses cheveux gris ne sortait d'un rigide alignement. Enfin, le cou, le corsage et les mains étaient plein de chaînes d'or, de broches et de bagues cliquetantes. (2007-I : 241)

On sent que Simenon a voulu mettre dans ce roman d'où l'âme humaine ne sort pas grandie toute la laideur dont les femmes et les hommes sont capables. Seul Emile Gallet, auquel Maigret finit par s’attacher, sort un peu du lot : un homme en apparence médiocre qui s'est battu pour survivre et faire vivre une famille qui ne lui manifeste aucune reconnaissance. Sévère dans un premier temps face à la cupidité, l'envie et la petitesse, quasiment obsessionnel dans sa tentative de comprendre les événements – études des documents appartenant à Gallet, examen de la scène de crime, reconstitution, analyse scientifique de pièces à conviction – Maigret s’amadoue progressivement, l’investigateur et le justicier s’effaçant devant celui qui est à la recherche de « l’homme nu ». Une attitude que l'on retrouve dans le roman suivant, Le pendu de Saint-Phollien.

 

Du point de vue de l’intrigue proprement dite, Monsieur Gallet, décédé peut laisser perplexe tant il est difficile d'adhérer à une histoire de mise en scène de meurtre finalement peu plausible. Mais la faiblesse de l’énigme policière proprement dite dans les enquêtes du commissaire a souvent été soulignée, par John Cowper Powis, par exemple, cité par Pierre Assouline :  

 

I never thought I'd live to see the day that I'd be reading detective stories, but the detective element of Simenon's books is their weakest aspect, generally rather unconvincing. All the rest  atmosphere, composition, narration, and characters  is wonderful, at least for me.2 

 

L'écrivain gallois n'a en effet pas tort de souligner que tout est dans l’atmosphère. Dans Monsieur Gallet, décédé elle est sombre et délétère, même quand une touche d’insouciance et de légèreté vient contraster avec la rigidité respectable de la femme de Galet et les louches manigances de son fils et de sa maîtresse :

 

En face de la mairie, des gens étaient attablés à la terrasse d’un café et il se dégageait de l’ombre des vélums rayés de rouge et de jaune comme une ambiance de bière fraîche, de glaçons flottants dans des apéritifs odorants, de journaux arrivés de Paris.  (2007-I : 247)

 

Finalement, qu'apporte ce premier roman?

 

1 - Une première approche de la méthode Maigret : travailler seul sur le terrain, interroger sans relâche les suspects comme les témoins, « renifler l’atmosphère et mettre au point l’image du mort », bref, se mettre à la place de la victime pour mieux la comprendre. Maigret se démène, aux dépens ici de toute vraisemblance puisque, bien que son ancienneté le conduise à « s’occuper de tout » au quai des Orfèvres en l’absence du directeur et du sous-directeur de la PJ, cela ne l’empêche pas d’enquêter à Paris, à Saint-Fargeau, à Sancerre et à Nevers !

 

2 - Une enquête de terrain ne fait pas l’impasse sur le travail scientifique avec la première apparition de Joseph Moers, la reconstitution minutieuse de la scène de crime et la référence à une expertise balistique. Ce n'est toutefois que dans Pietr le Letton qu’apparaissent les inspecteurs de l'équipe de Maigret.

 

3 – Les thèmes du changement d’identité et de la double vie qui reviennent à plusieurs reprises dans l’œuvre.

Bal anthropométrique.
Invitation du Bal Anthropométrique.

 

1 - Si les deux premiers Maigret écrits par Simenon sont Pietr le Letton et Le charretier de La Providence, Monsieur Gallet, décédé est le premier publié avec Le pendu de Saint-Pholien. Les deux romans sont lancés le 20 janvier 1931 au cours d'un Bal anthropométrique dans un cabaret de Montparnasse, La Boule Blanche. L'événement rassembla le « Tout-Paris » et lança le marketing littéraire. 

 

2 - « Je n'aurais jamais pensé vivre pour voir le jour où je lirais des romans policiers, mais l'élément policier des livres de Simenon est leur aspect le plus faible, généralement peu convaincant. Tout le reste – l’ambiance, la composition, la narration et les personnages – est merveilleux, du moins pour moi. »

 

Georges Simenon, Monsieur Galet, décédé © Fayard, 1931 et Omnibus, 2007.

 

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Tag(s) : #1931, #Sancerre, #Scènes de la vie de province, #Banlieue, #Fayard
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