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Maigret avant Maigret

Si M. Gallet décédé est le premier roman publié des aventures de Maigret, en février 1931, le premier écrit par Simenon près d’un an auparavant est Pietr le Letton. Le romancier a toujours affirmé qu’il avait eu l’idée du personnage lors de son passage à Delfzijl en Hollande et qu’il y avait composé le manuscrit. Le commissaire apparait pourtant dans quatre romans parus sous deux pseudonymes : Train de Nuit (Christian Brulls, 1930), La jeune fille aux perles (Christian Brulls, 1932) La Maison de l'Inquiétude (Georges Sim, 1930 en feuilleton et 1932) et La Femme rousse (Georges Sim, 1933).

Bien que trois de ceux-ci aient été publiés après les deux premiers Maigret, selon Gilbert Signaux dans sa préface au premier volume des œuvres complètes au éditions Rencontre (1966) ils ont été écrits au plus tard en 1929. On ne peut toutefois selon lui prendre ces histoires comme préfigurant le personnage et les enquêtes des Maigret :

On pourrait donc considérer comme des préparations, des esquisses les Maigret mis en scène dans ces livres, et supposer que Georges Simenon a peu à peu dégagé son personnage d'une masse primitive, comme un sculpteur travaillant la glaise (ou la pierre). Cette vue serait inexacte. Le nom de Maigret sert de support à des personnages différents. Les Maigret des romans cités plus haut ne se ressemblent pas entre eux et aucun n'est superposable au Maigret dont la personnalité se développera à partir de Pietr-le-Letton.

  Rédaction Publication
Train de nuit Eté 1929 Septembre 1930
La jeune fille aux perles Eté 1929 Février 1932
La femme rousse Eté 1929 Avril 1933
La maison de l'inquiétude ? Mars 1930 & février 1932
Pietr le Letton Septembre 1929 Mai 1931
M. Gallet, décédé Eté 930 Février 1931

 

Train de nuit (Christian Brulls - Fayard, Les maîtres du roman populaire, 1930)

Jean Monnet effectue son service militaire à bord du cuirassé Bretagne. A la suite d'une permission qu'il a passée dans sa famille à Fécamp, il prend le rapide Paris-Marseille pour regagner sa base de Toulon. Dans le train, il est abordé par une belle inconnue, qui lui demande de déposer un portefeuille à Marseille. En arrivant, Jean apprend qu'un homme d'affaires marseillais, José Bellami, a été tué dans le train et a été dépouillé d’un million de francs.

Dans ce roman mi-policier mi-sentimental racontant les amours contrariées de « deux âmes souffrantes et presque martyres », Maigret n'intervient qu'à la fin du récit, l’enquête et la traque du meurtrier étant menée par Torrence, l’un de ses inspecteurs. Si Simenon introduit pour la première fois l’homme qui deviendra vite célèbre, celui-ci n’est qu’un nom et n’a pas encore de visage : ce n’est qu’commissaire de police. Pourtant, en se montrant compréhensif envers ceux qu’il voit avant tout comme des victimes et en arrangeant l'affaire en s’asseyant sans honte sur la légalité comme sur le code pénal, il se pose déjà en raccommodeur de destinée. Mais, en proposant un épilogue très moral où la raison l’emporte sur la passion, Simenon reste fidèle aux codes du roman populaire.

La jeune fille aux perles (Christian Brulls - Fayard, Les maîtres du roman populaire, 1932)

Publié en 1932 sous le titre La figurante, le roman a retrouvé le titre initialement choisi par Simenon lors de la réédition de 1991.

Proche de la ruine, l'homme d'affaires parisien Hector Langevin se suicide, laissant sa fille Nadine sans le sou, alors qu'elle était habituée au luxe. Il l'oblige ainsi à affronter seule la colère de ses créanciers, et plus particulièrement celle de Jacques Morsan, un jeune et brillant ingénieur que la mort de Langevin laisse criblé de dettes. Pour lui éviter la prison la jeune femme vend un collier de perles et lui fait remettre l'argent qu’elle en a obtenu sans pour autant qu'il en connaisse l'origine.

Maigret, qui, appartient ici à la Sureté générale, apparait dès le début du roman puisque c’est lui qui constate la mort de Langevin et annonce la triste nouvelle à sa fille. Le ton est ferme mais le commissaire fait preuve d’une grande délicatesse en s’adressant à Nadine. Hormis une description sommaire mais qui donne déjà une idée de ce qu’il sera - « C'était un personnage immense et large, au cou puissant, qui avait dans toute sa personne quelque chose d'à la fois bourru et attendri. (135) » - on n’en saura guère plus sur Maigret sinon qu’il a déjà l’habitude de se nourrir de sandwiches et de ne pas renoncer à un remontant. Il n’est en effet qu’un personnage secondaire dans ce roman qui se concentre sur la vie de Nadine et sur son entourage. Il apparait pourtant comme le seul personnage consistant parmi les autres protagonistes, tous à la limite du stéréotype. Mais La fille aux perles se conforme comme Train de nuit aux règles du roman populaire et alterne péripéties et drames familiaux sur fond de trahison et de désir de vengeance.

Les connaisseurs de la série verront en Langevin et en son ami devenu ennemi Reiswick, tous deux partis chercher fortune outre-Atlantique, des précurseurs de Maura et Daumale que l’on retrouve dans Maigret à New-York paru en 1947.

La femme rousse (Georges Sim -Taillandier, Criminels et policiers, 1933)

A 53 ans, Marcel Debonnier, retraité de la compagnie des Chemins de Fer d'Orléans, coule des jours paisibles avec son épouse et sa fille dans le pavillon qu'il possède au bord de la Seine à Samois, près de la forêt de Fontainebleau. Or, depuis peu, sa fille est amoureuse d'un homme séduisant, de onze ans son aîné, qui se fait appeler M. Georges. Mais celui-ci ne serait-il pas Jojo-le-Tueur, un assassin suspecté d’avoir commis quatre meurtres ?

Ce roman, qui s’éloigne un peu du roman populaire tout en comportant encore pas mal de péripéties, montre un Maigret qui, comme dans Train de nuit et La jeune fille aux perles, est amené à faire preuve d’imagination et à se montrer complice pour aider les deux principaux protagonistes. Mais n’est-ce pas dans son caractère : « Il respirait à la fois une certaine bonhommie ironique et une assurance anormale. » (281).

On trouve dans La femme rousse un thème qui va souvent revenir dans l’œuvre de Simenon, celui de la fuite vue comme une errance initiatique, la possibilité d’une nouvelle naissance : ici Marcel Debonnier part à la recherche de sa fille, se prend pour un détective privé (ce qui dérange le travail de la police) et sa quête l’amène à vivre quasiment dans les rues de Paris : déterminé mais naïf, le chasseur devient vite proie. Cette transformation profonde se retrouve dans la nouvelle L’homme dans la rue et les romans La tête d’un homme ou La fuite de M. Monde.

La maison de l’inquiétude (Georges Sim – Paru en feuilleton dans L’œuvre en 01930 puis chez Taillandier, Criminels et policiers, 1932)

Une nuit de novembre, alors qu'il est seul dans les locaux du Quai des Orfèvres, le commissaire Maigret reçoit la visite d'une jeune femme qui lui annonce qu'elle a tué un homme. Puis elle profite de ce que Maigret doive prendre un appel urgent pour disparaitre. Le lendemain, alors qu’il enquête à Montreuil sur l'assassinat d’un ancien officier de marine, le commissaire retrouve sa visiteuse. Elle s'appelle Hélène Gastambide et habite le même immeuble que la victime, où elle vit avec son père et son frère.

Alors que les trois précédents romans racontent des histoires mêlant sur fond d’intrigue sentimentale des aventures aux nombreuses péripéties à une intrigue policière dans laquelle Maigret intervient plus ou moins, La maison de l’inquiétude met le commissaire au premier plan puisqu’il est présent sans interruption tout au long du récit qui commence au quai des orfèvres, dans son bureau pour se terminer dans celui du directeur de la PJ.

L’enquête suit une voie familière au lecteur des 75 romans de la série – transport sur le lieu du crime, enquête de proximité, interrogatoires – et introduit des personnages qui seront vite récurrents : les collaborateurs de la PJ dont Torrence, un légiste mondain qui préfigure le docteur Paul, des concierges et déjà le juge Cornéliau. Quant aux détails qui apportent la touche personnelle au commissaire ils sont là : le pardessus à col de velours, les verres de bière vides sur le bureau, la charbonnière sur laquelle Maigret frappe sa pipe, les petits verres chez l’Auvergnat du coin de la rue, les planques et les filatures que le commissaire se charge déjà d’assurer seul, l’appartement du boulevard Richard Lenoir, une épouse. Par contre la brasserie proche du quai des orfèvres n’a pas encore trouvé son nom définitif.

Dans La maison de l’inquiétude, Maigret, fidèle à ce que certains appellent sa « méthode » et faisant dékà preuve d'une grande facilité à s’immerger dans les milieux les plus divers s’imprègne de l’atmosphère ambiante, observe et réfléchit sans conclure hâtivement. À la question de Cornéliau lui demandant son avis, il répond d’ailleurs sèchement : « je n’en ai pas ». Si le roman, à l’inverse des précédents, est une véritable enquête policière, l’intrigue reste complexe et mêle le mystère aux sentiments avec de nombreux rebondissements. On y trouve le thème de la folie comme dans Le fou de Bergerac et celui des relations complexes dans une famille qui a connu des jours meilleurs comme dans Les témoins récalcitrants.

Mal connu, La maison de l’inquiétude ne peut pas décevoir les inconditionnels des enquêtes de Maigret. Bien qu’il ne figure pas dans la série et que le commissaire ne soit pas encore totalement ce qu’il sera ensuite, on peut le considérer comme un prototype, une sorte de numéro zéro de la série.

Simenon avant Simenon, Maigret entre en scène, édition établie par Francis Lacassin © Paris, Omnibus, 1999 et France Loisirs, 2000.

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Tag(s) : #1931, #Paris
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