Les dernières nouvelles mettant en scène Maigret ont été écrites par Georges Simenon entre mars 1939 et mai 1950 : L'homme dans la rue, Vente à la bougie, Menaces de mort, La pipe de Maigret, Le témoignage de l'enfant de chœur, Le client le plus obstiné du monde, Maigret et l'inspecteur malgracieux, On ne tue pas les pauvres types et Un Noël de Maigret. On y retrouve les qualités d’observation du commissaire mais aussi un Maigret plus intime, en particulier dans La pipe de Maigret, Le témoignage de l'enfant de chœur et Un Noël de Maigret. Par ailleurs Maigret et l'inspecteur Malgracieux est la première enquête dans laquelle apparaît l’inspecteur Lognon, que l’on retrouve dans six romans.
Un Noël de Maigret a été publié en 1951 dans un volume comprenant deux autres nouvelles dont l'action se situe également située un soir de Noël : Sept petites croix dans un carnet et Le petit restaurant des Ternes, dans lequel apparaît très brièvement l'inspecteur Lognon.
L’homme dans la rue 1939)

Le corps d'un médecin viennois, installé à Neuilly-sur-Seine, est retrouvé dans le Bois de Boulogne, tué d'un coup de revolver. Faute d’indices, Maigret fait procéder à une reconstitution avec un faux suspect, espérant que l’un des badauds présents se trahira ou le mènera sur une piste. Une chasse à l'homme qui va durer cinq jours commence…
L’homme dans la rue est l’interminable filature dans Paris d’un homme dont on ne sait s’il est coupable ou témoin dans une affaire criminelle. Maigret et ses inspecteurs s’accrochent à leur cible avec patience et ténacité, ne relâchent jamais leurs efforts pour épuiser un homme que le manque d’argent, la faim et la fatigue vont conduire à n’être plus qu’un fantôme avec « collée à ses vêtements, une sourde odeur de misère ». Acculé, piégé, il ne pourra que se livrer pour que soient élucidée une banale et triste affaire de crime passionnel. L’homme dans la rue ou jusqu’où peut-on aller pour protéger quelqu’un que l’on aime.
Georges Simenon, Maigret et les petits cochons sans queue © Paris, Presses de la Cité, 1950 et Omnibus, 2008
Vente à la bougie (1939)

En janvier, dans une auberge du bocage vendéen, des paysans sont venus pour la vente aux enchères d'une « cabane », une ferme et ses prés attenants. Alors que la soirée se déroule dans la salle commune, un des éventuels acheteurs est assassiné dans sa chambre et la somme d’argent qu’il destinait à l’achat a disparu. Maigret, qui dirige alors la brigade mobile de Nantes, se rend sur les lieux pour interroger les occupants de l'auberge et procéder à une reconstitution méthodique.
Se déroulant sous une pluie glaciale d’hiver, dans une auberge isolée « au plus lointain de la Vendée », la nouvelle est la longue et patiente reconstitution d’un crime par Maigret, qui sans relâche, reprend les choses, pose et repose les mêmes questions, fait répéter à chacun ses moindres gestes. La description des lieux, de la salle commune aux chambres, de la cave à la cuisine, est précise, minutieuse. Comme l’est celle des personnes présentes le soir du crime : l’aubergiste, sa femme et leur bonne, un vieux pêcheur d’anguille, un douanier, un fermier ruiné, des paysans venus pour une vente. Tous peuvent être coupables d’assassinat et de vol dans cette affaire où il n’est pratiquement question que d’argent, celui que certains ont perdu et celui que d’autres possèdent encore, celui qui permet de rêver à une vie meilleure, ou, plus prosaïquement, celui que l’on désire par cupidité.
La nouvelle, rare incursion de Simenon dans le roman à énigme en lieu clos, est réussie. Les personnages sont bien typés et crédibles et l’atmosphère froide et humide qui entoure l’auberge accentue encore la tristesse d’une histoire dans laquelle l’argent n’est finalement qu’un moyen de lutter contre la peur de l’abandon et de la solitude. Même Maigret est triste dans la voiture qui le ramène à Nantes sous la pluie. Sale temps, sale métier !
Georges Simenon, Maigret et les petits cochons sans queue © Paris, Presses de la Cité, 1950 et Omnibus, 2008
Menaces de mort (1942)

Emile Grosbois, enrichi dans le commerce de la ferraille, a reçu des menaces de mort. Il demande l'aide de Maigret, qu’il invite à passer le week-end dans sa maison de campagne. Celui-ci y découvre une étrange famille : le frère jumeau de Grosbois, sa sœur et ses enfants. Tous semblent très intéressés par la fortune familiale…
Des menaces de mort par lettre anonyme – « …tu mourras dimanche avant six heures de l’après-midi. » – et une vague recommandation politique suffisent pour que le directeur de la Police judiciaire envoie Maigret protéger le destinataire. Ce week-end printanier en bord de Seine pourrait être parfait si les membres de la famille Grosbois, qui a fait fortune dans la récupération des chiffons et métaux, ne se détestaient cordialement. Dans une ambiance mauriacienne1, tout le monde attend et Maigret observe.
Des familles sont capables de supporter l’étranger parmi elles pendant des semaines, voire des mois, sans rien livrer de ces petits secrets plus ou moins honteux qui sont le linge sale de toutes les maisons. (2008-X : 502)
Cette nouvelle sur le thème de « l’argent ne fait pas le bonheur » ou « famille, je vous fais ! » est un peu gâchée par des personnages assez caricaturaux : deux frères jumeaux étriqués et avares, une sœur méprisée, une nièce délurée et un neveu dévoyé. Sur un thème similaire, nous sommes loin de personnages plus complexes comme Emile Ducrau dans L’écluse n° 1 ou Valentine Besson dans Maigret et la vieille dame.
Maigret revient furieux de son bref séjour à Coudray – « Une autre fois, vous serez gentil d’envoyer quelqu’un d’autre pour ce genre de mission. C’est bien joli de sauver des gens, mais encore faut-il qu’ils le méritent. » – même si sa mauvaise humeur est un peu atténuée par le souvenir de la belle Eliane prenant des bains de soleil2. Mais les notes prises dans « le gros calepin noir qui ne le quittait jamais » livrent un éclairage saisissant sur la personnalité des divers protagonistes et le commissaire ne saura pas trop quoi penser de cette histoire.
Mettons, peut-être à l’exception d’une belle fille qui… Et encore ! On n’a pas le droit de jouer tout un après-midi de dimanche à la tentation de Saint-Antoine ! Quand on a un corp502)s pareil, on le cache, ou alors… (2008-X : 520)
1. «Toute la nouvelle, le portrait d'une famille française où couvent et mijotent les haines, est d'ailleurs un peu étrangère au monde de Simenon, glisse du côté de Mauriac. » Dominique Fernandez, Avant-propos au recueil des nouvelles chez Omnibus.
2. Voir l’analyse de Robert Jouanny : Le regard de Maigret sur les femmes.
Georges Simenon, Menaces de mort © Paris, Omnibus 1992 et 2008
La pipe de Maigret (1947)

Mme Leroy, une veuve amère et prétentieuse, accompagnée de son fils Joseph, vient expliquer à Maigret que durant son sommeil ou en son absence, quelqu'un fouille sa maison de Charenton. Or rien n’a été volé. Après avoir distraitement écouté ses doléances, une fois la dame et son fils partis, le commissaire constate qu'une de ses pipes a disparu.
Une nouvelle au dénouement peu crédible, mais intéressante à plusieurs égards :
- L’addiction de Maigret au tabac et l’attachement qu’il porte à ses pipes sont connus. La disparition de l’une d’entre elle – « une grosse pipe en bruyère, légèrement courbe, que sa femme lui avait offerte dix ans plus tôt lors d’un anniversaire » – va donc évidemment le perturber. Mais ce qui pourrait être un non-événement va être habilement utilisé par Simenon : c’est en recherchant comment sa « bonne vieille pipe » a disparu que Maigret va se remémorer l’entretien qu’il a eu avec Mme Leroy et son fils et découvrir au moins qui est le voleur. Ce qui décidera de la suite de l’intrigue.
- Le personnage de Mme Leroy est à placer dans la galerie des portraits de femmes qui ont eu des malheurs. Loin des gangsters, des bourgeois ou des notables, nous sommes ici chez les petites gens, pas riches mais pas vraiment pauvres, ceux qui galèrent pour joindre les deux bouts. Mme Leroy, qui a dû louer des chambres et est maintenant « dame de compagnie » est restée fière, voire prétentieuse, parlant de son mari officier alors qu’il n’était qu’adjudant et se plaignant sans cesse que les gens n’ont aucune délicatesse.
La femme – c’était plutôt Mme Leroy – était assise juste en face du commissaire. Avec cette allure un peu raide des gens qui se sont promis d’être dignes. Une femme dans les quarante-cinq ans, de celles, qui, sur le retour, commencent à se dessécher. (2008-X : 527)
- Le personnage de Joseph offre plus d'intérêt. Sous l’emprise d’une mère qu’il trouve ridicule mais qu’il craint, il vit mal son apprentissage de garçon-coiffeur et rêve d’aventures. Pour échapper à la morosité de sa vie – « On sentait l’ordre. Mais, mon Dieu, que c’était triste ! Plus que triste, lugubre ! » – mais aussi pour impressionner la gentille Mathilde, il prendra des risques, tout en croyant que la pipe volée à Maigret l’aidera dans sa démarche.
C'est ce que Joseph Leroy a bien compris, et le motif pour lequel il a volé une pipe à Maigret : cette pipe que le policier serre entre ses dents l'aide à comprendre, à trouver la solution de l'énigme. Comme le crayon d'un écrivain, la pipe de Maigret est l'outil qui lui permet d'appréhender le monde. (Murielle Wenger, Maigret of the Month.)
- Maigret apparaît ici sous différents aspects, obnubilé par la disparition de sa pipe et « absent » pendant un repas de famille, un peu somnolent face aux litanies de Mme Leroy, lourd et lent quand il visite sa maison, étonnamment agile et rapide quand il effectue une arrestation en force – « Si tu as encore le malheur de me mordre, sale bête, je t’écrase la gueule. » – dans une auberge louche des bords de Marne. Enfin un Maigret qui se dévoile un peu, très perturbé par la perte d’un objet que sa femme lui a offert et donnant son avis sur les femmes et sa préférence pour « celles que les années empâtent. ».
Georges Simenon, Maigret se fâche © Paris, Presses de la Cité, 1947 et Omnibus, 2008
Le témoignage de l’enfant de chœur (1946)

Justin prétend avoir vu un cadavre sur le trottoir et l'assassin qui s'enfuyait, alors qu'il se rendait le matin à la chapelle pour y servir la messe de six heures. D'autres témoignages contredisant son récit, les policiers le soupçonnent d’avoir menti pour se rendre intéressant. Seul Maigret attache au témoignage de l'enfant une certaine véracité, peut-être parce qu’il a lui aussi été enfant de chœur…
Cette jolie enquête se déroule dans une ville de province où Maigret a été envoyé quelques mois pour réorganiser la Brigade régionale de police mobile (une des « Brigades du Tigre »). Contre toute évidence et contre l’opinion de ses collègues, il va prendre au sérieux ce que raconte un jeune garçon. Pourquoi ? Parce que, se mettant à la place de Justin, ce que sa propre histoire rend plus facile, il est convaincu que celui-ci ne ment pas, même s’il n’a peut-être pas dit toute la vérité. Nous avons ici un Maigret intime qui se souvient de son enfance et qui va « confesser » Justin en lui montrant qu'il a lui aussi ses faiblesses, qu’il peut avoir peur ou tricher un peu.
Tiens ! passe-moi encore une fois mon tabac et ne dit pas à Mme Maigret que j’ai fumé trois pipes depuis que nous sommes là… Tu vois que les grandes personnes n’avouent pas non plus toujours la vérité entière… (2008-X : 592)
Maigret résout le mystère du cadavre disparu en trois temps : d’abord par une reconstitution en compagnie de l’enfant par un temps épouvantable – « Il pleuvait tout fin, et la pluie était froide. » –, ensuite par des discussions avec des témoins et enfin par les précisions que lui apporte Justin alors qu'il est confiné chez lui par une forte grippe. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Maigret découvre la vérité depuis sa chambre, avec l’aide de Mme Maigret préparant les tisanes et transmettant les messages, comme dans Le fou de Bergerac (1932).
Le témoignage de l'enfant de chœur est empreint d’une certaine nostalgie de l’enfance, celle du jeune Simenon qui faisait le même chemin que Justin à l’aube pour aller servir la messe (la ville décrite dans le roman est inspirée de Liège). Il n'est donc pas surprenant que Maigret évoque souvent l’enfant de chœur qu’il fut, dans L’affaire Saint Fiacre, dans Maigret à l’école, ou encore dans Maigret et le voleur paresseux :
Cela remontait à plus loin encore que l'adolescence : à son enfance, quand il était enfant de chœur et servait la messe de six heures.
Pourtant, il avait servi la même messe au printemps, en été, en automne. Pourquoi le souvenir qui lui en restait et qui lui revenait automatiquement était-il un souvenir d'obscurité, de gel, de doigts engourdis, de chaussures qui, sur le chemin, faisaient craquer une pellicule de glace ? (2008- VII : 777)
Georges Simenon, Maigret et l'inspecteur malgracieux © Paris, Presses de la Cité, 1947 et Omnibus, 2008
Le client le plus obstiné du monde (1946)

Joseph, garçon au Café des Ministères, voit débarquer à huit heures du matin un client d'allure quelconque qui va se révéler obstiné : il restera pendant des heures assis dans l’établissement, à consommer des cafés au lait. À trois heures de l'après-midi, il est toujours installé à la même place, et Joseph décide de faire appel à l'inspecteur Janvier.
Ce client obstiné est d’abord un client patient, qui passe une journée entière, de l’ouverture à la fermeture, dans un café du boulevard Saint-Germain. Quelques cafés, une eau minérale, une limonade plus une brève entrevue avec une jeune femme, il n’en faut pas plus pour intriguer le personnel. La situation se tend quand un inconnu est assassiné dans la rue, juste au moment ou le client obstiné sort enfin du café et disparait.
La nouvelle propose une énigme à trois inconnus – « Un homme calme, une dame calme, et de l’autre côté de la rue, une sorte d’hurluberlu aux nerfs tendus. » –à un Maigret d’excellente humeur par une belle journée de printemps, manifestement heureux de fureter dans le quartier Saint-Germain-des-Près et ensuite à Juvisy en compagnie de Janvier, entre force tournées de petits blancs secs.
Cela débouche sur une histoire de jumelles, de substitution d’identité et de ménage à trois (cf. Les scrupules de Maigret) et un dénouement assez facile. Mais il y a avant tout l’ambiance printanière, un Maigret euphorique – « Et je crois bien n’avoir jamais tant bu… » – et un beau chapitre d’introduction alternant la description de la vie d’un bistrot parisien avec les témoignages des garçons, de la caissière et du patron du Café des Ministères.
C’était trop facile. Ce ne n’était plus une enquête mais une promenade, une promenade égayée par le plus guilleret des soleils et par le nombre toujours croissant de petits verres. Et pourtant les yeux de Maigret pétillaient comme s’il avait deviné qu’il y avait derrière cette affaire si banale un des plus extraordinaires mystères humains qu’il eût rencontrés au cours de sa carrière. (2008-X : 627)
Il n’y a plus qu’un seul café au coin du boulevard Saint-Germain et de la rue des Saints-Pères, l’autre a disparu, tout comme le restaurant de l’autre côté du boulevard. Où peut-être n’ont-ils jamais existé que dans l’imagination de Simenon. Le café qui subsiste s’appelle le Rouquet, il a conservé son dallage en mosaïque et ses néons des années soixante. En passant devant, on se surprend à y chercher le client obstiné.
Georges Simenon, Maigret et l'inspecteur malgracieux © Paris, Presses de la Cité, 1947 et Omnibus, 2008
Maigret et l’inspecteur Malgracieux (1946)

Un soir, au standard de Police-Secours, une lumière s'allume sur le plan de Paris qui couvre un mur de la salle : on vient de briser la vitre de l'appareil placé à l'angle des rues Caulaincourt et Lamarck. On entend une détonation, puis une voix qui lance une injure contre la police. Maigret se souvient alors qu'un même fait s'est produit six mois plus tôt. Frappé de la coïncidence, il se rend sur les lieux.
L’enquête se déroule dans le 18e arrondissement, chasse gardée de l’inspecteur Lognon – humeur peu amène et grande susceptibilité – , qui apparaît ici pour la première fois ici et reviendra ensuite dans six romans1. Elle débute avec la mort violente de Michel Goldfinger, un « petit serre-fesses » sans envergure, devant une borne de Police-Secours au coin de la rue Caulaincourt : un suicide ou un assassinat dans le monde des courtiers en diamants gravitant autour de la rue Lafayette.
Pour un débutant, c’est assez impressionnant… On imagine le carrefour désert dans la nuit, les hachures de pluie, le pavé mouillé, avec les flaques de lumières du réverbère, des cafés éclairés au loin, et un homme ou une femme qui se précipite, qui titube peut-être, ou qui est poursuivi, quelqu’un qui a peur ou qui a besoin d’aide, s’entourant la main d’un mouchoir pour briser la vitre… (2008 - X : 639)
L’intrigue de Maigret et l’inspecteur Malgracieux est plutôt banale mais la personnalité de la victime, un homme médiocre entouré de deux femmes au comportement énigmatique, passionne immédiatement Maigret.
Comment dire, c’était une de ces affaires dont l’odeur lui plaisait, qu’il aurait aimé renifler à loisir jusqu’au moment où il en serait si bien imprégné que la vérité lui apparaîtrait d’elle-même. (2008-X : 653)
Débutée dans la salle des appels de Police-secours2, où l’on apprend la « géographie criminelle de la capitale », l'enquête se poursuit dans le quartier de la rue Lamarck où Maigret doit procéder avec une prudence de Sioux, et même se placer pratiquement en dehors de la procédure, pour ne pas se mettre à dos l’inspecteur Lognon en chassant sur ses terres3. Ce qui lui coûte énormément, au point d’admettre être « vexé comme une punaise » de ne pouvoir faire les choses lui-même, et le conduit le à user de grandes qualités psychologiques et diplomatiques – « Du baume. De la pommade. Beaucoup de pommade pour adoucir les blessures d’amour propre de l’inspecteur Malgracieux. » – afin de permettre à Lognon de gagner la partie contre des « gens rudement forts ».
Finalement, Maigret et l’inspecteur Malgracieux se révèle une nouvelle très plaisante et efficace sur une affaire vite élucidée, avec l’évocation en parallèle de l’arrestation et des aveux d’un escroc international qui passionne peu Maigret, tant il a à cœur l’affaire de la mort de Goldfinger. On notera l'évocation d'une enquête, qui revient à plusieurs reprises dans la série, sur la bande dirigée par Stan le tueur, thème de la nouvelle éponyme.
Enfin, Simenon prend déjà grand plaisir à mettre en scène Lognon, pour qui Maigret a plus de sympathie que le Malgracieux le croit. Pour plus de détails sur l'inspecteur, on consultera la fiche que Murielle Wenger lui consacre sur Maigret of the month : https://www.trussel.com/maig/lognonf.htm
- Maigret au Picratt’s (1951), Maigret, Lognon et les gangsters (1952), Maigret et la jeune morte (1954), Maigret tend un piège (1955), Maigret et le voleur paresseux (1961), Maigret et le fantôme (1955).
- Simenon fait plusieurs fois référence à ce service qui centralise les appels d’urgence, en particulier dans Sept petites crois sur un carnet, une nouvelle dans laquelle un commissaire (qui ressemble beaucoup à Maigret) coordonne une enquête mobilisant d’importantes forces de police depuis la salle des appels téléphoniques.
- On retrouve un schéma de départ identique – appel à Police-Secours, secteur du deuxième quartier, susceptibilité de Lognon… – dans Maigret et la jeune morte.
Georges Simenon, Maigret et l'inspecteur malgracieux © Paris, Presses de la Cité, 1947 et Omnibus, 2008
On ne tue pas les pauvres types (1946)

Un jour d'été, à Paris, Maigret est appelé dans un logement banal de la rue des Dames : un homme à l'allure tout ce qu'il y a de plus ordinaire se déshabillait devant la fenêtre ouverte quand il a été abattu d'un coup de carabine. Pour quelle raison a-t-on bien pu tuer ce « pauvre type » qui menait une petite vie tranquille et médiocre ?
Pourquoi a-t-on tué Maurice Tremblet, un brave type tout à fait quelconque, un petit employé consciencieux et ponctuel à la vie morne et routinière entre son travail de caissier dans une maison de passementerie et une famille de « petites gens sans histoires. Or, « on ne tue pas les braves types » répète Maigret à plusieurs reprises, intrigué par une affaire qui nécessitera du temps de la patience et aussi de la chance avant d’’être élucidée. A tel point que ses efforts pour « comprendre » l’obsèdent jusqu’à l’empêcher de dormir : « Il enrageait parce qu'il ne comprenait pas et qu'il avait horreur de ne pas comprendre. »
Cette courte nouvelle est une ébauche de ce qui deviendra sept ans plus tard Maigret et l’homme du banc sur le thème de la double vie d’un homme à qui le hasard va permettre d’échapper quelques heures par jour et en cachette de ses proches à la monotonie de l’existence. Mais peut-on vraiment oublier sa nature ? Pas vraiment, semble-t-il, puisqu’à la vie de Maurice Tremblet va se substituer celle d'un certain Monsieur Charles – qui est aussi le nom du personnage principal, un autre homme aux vies multiples, du dernier Maigret – tout aussi banale et triste que la première. Une vie que même une molle maîtresse au caractère de chien ne viendra pas égayer !
On n’aurait pas pu dire pourquoi, au juste. Il se dégageait de cette femme, qui était peut-être une fort brave femme, quelque chose de décourageant qui parvenait à rendre terne, quasi lugubre, jusqu’au soleil qui pénétrait par la fenêtre. La vie, autour d’elle, devenait tellement morne, tellement inutile et monotone qu’on se demandait si la rue était vraiment là, à portée de la main en quelque sorte, grouillante de vie, de lumière, de couleurs, de sons et d’odeurs. (2008-X : 679)
Maurice Tremblet partage avec Louis Thouret, l’homme du banc, le plaisir de rester assis des heures, dans les squares pour le premier, sur les grands boulevards pour le second. Mais si l’un et l’autre ont choisi d’échapper à une atmosphère décourageante, aucun n’ira jusqu’au bout de ses désirs. C’est ce qui rend particulièrement tragique le destin de ces deux personnages, qui, par peur ou par manque d’imagination, restent finalement des « petits hommes », des velléitaires qui n’ont pas su se reconstruire une vie différente. Tremblet est peut-être un pauvre type, mais Maigret le comprend et le respecte, il nourrit ses oiseaux, manipule ses cannes à pêche… Une fois de plus l’empathie de Maigret pour ses semblables, victimes ou coupables, l’emporte : « Il l'avait quittée à regret, cette maison où il avait fini par vivre en quelque sorte dans l'intimité de son pauvre type. »
Georges Simenon, Maigret et l'inspecteur malgracieux © Paris, Presses de la Cité, 1947 et Omnibus, 2008
Un Noël de Maigret (1951)

Le commissaire, un matin de Noël, reçoit la visite de deux de ses voisines du Boulevard Richard-Lenoir. La petite fille de l'une d'elles, alitée, a reçu la nuit précédente la visite d'un homme déguisé en Père Noël qui lui a donné une poupée, puis a soulevé des lames du parquet de sa chambre. Intrigué, Maigret va interroger la petite fille. Il soulèvera d’autres mystères, certains très anciens…
Comme Le témoignage de l’enfant de chœur, Un Noël de Maigret débute par le témoignage d’un enfant, ici une petite fille clouée au lit, qui affirme avoir vu la nuit un homme déguisé en Père Noël soulever des lames du parquet de sa chambre pour y chercher quelque chose. Un événement qui rappelle La pipe de Maigret, où un inconnu cherche aussi des objets cachés dans une maison qui n’est pas la sienne. Et, comme avec le jeune Justin, l'enfant de chœur qui affirme avoir vu un cadavre alors qu’il se rendait à l’église, Maigret va prendre l’histoire de Colette au sérieux.
De même que dans Le témoignage de l’enfant de chœur ou Le fou de Bergerac, nous avons ici une « enquête en chambre », à la différence que Maigret n’est pas malade. Mais, en ce jour de Noël, il n’a pas envie de quitter la douceur de son domicile ni la compagnie de Mme Maigret qui s’active en cuisine. Il traversera bien le boulevard Richard Lenoir, mais ce sera tout et il confiera les recherches d’informations – dans des commissariats de quartiers, à la consigne de la gare du Nord ou dans un hôtel meublé – à Lucas et Torrence, de garde ce jour-là.
L’intérêt de la nouvelle tient à ce que nous sommes dans deux mondes clos, l’appartement du commissaire et celui des Martin, juste en face de chez lui, deux mondes qui se ressemblent :
Dans cette affaire, qui n’en était pas une, puisqu’il n’était officiellement chargé de rien, c’était tout différent. Pour la première fois, un événement se passait dans un monde proche du sien, dans une maison qui aurait pu être la sienne. (2008-X : 738)
C’est d’ailleurs ce qui va perturber Maigret : il n’est pas dans un milieu à découvrir, les appartements sont semblables, leur disposition identique et ce sont les mêmes poêles qui les chauffent. La première visite chez les Martin pour interroger la petite fille le laissera d’ailleurs perplexe : « Etait-ce cela qui le gênait ? Il lui semblait qu’il manquait de recul, qu’il ne voyait pas les gens et les choses avec un œil assez frais, assez neuf. »
Il entrera finalement dans l’atmosphère de ses voisins, découvrant progressivement une famille pas aussi unie qu’elle le prétend et, aussi quelques squelettes dans le placard.
Un Noël de Maigret montre un Maigret intime, chez lui, qui traîne en robe de chambre, discute avec son épouse, réfléchit devant le poêle et distribue ses instructions pendant que Mme Maigret cuisine et tricote. Pour lui, Noël évoque la nostalgie de l'enfance, que renforce la neige qui arrive sur Paris. C’est aussi une période difficile pour les Maigret, un « vieux couple (…) sans personne à gâter » qui, à la fin de la nouvelle, accueillera temporairement Colette… Nostalgie de la paternité et référence à une petite fille disparue en bas âge évoquée pudiquement dans Les mémoires de Maigret et Maigret et l’homme du banc.
Enquête rigoureuse en deux temps – en direct sur trois chapitres puis en différé grâce à une enveloppe au dos de laquelle Maigret avait pris des notes et qu'il retrouvera plus tard –, Un Noël de Maigret (notons l’article indéfini, tous les Noëls se ressembleraient-ils ?) est aussi un conte de Noël, genre obligé pour tant d’écrivains : Charles Dickens (Un chant de Noël), Guy de Maupassant (La nuit de Noël), Nicolaï Gogol (La nuit de Noël) ou Marcel Aymé (Le commis du Père Noël).
Georges Simenon, Un Noël de Maigret © Paris, Presses de la cité, 1951 et Omnibus, 2008