Alors qu’il se rend en train en Dordogne pour passer quelques jours chez un ami, le commissaire est intrigué par le comportement d’un voyageur. Quand celui-ci saute du train en marche, il le suit mais l’inconnu lui tire dessus et le blesse. C’est à l’hôpital où il est soigné qu’il apprend que des jeunes femmes ont récemment été victimes d’un meurtrier qui pourrait bien être son agresseur.
Se sentant personnellement concerné par l’affaire, immobilisé par sa blessure, c’est depuis sa chambre, d’abord à l’hôpital de Bergerac puis à l’hôtel d’Angleterre où sa femme l’a rejoint, que Maigret mène ses investigations avec les moyens du bord. Nanti d’un guide Michelin et de cartes postales, aidé par Madame Maigret qu’il envoie en reconnaissance, il construit sa vision des lieux – « Maigret ne connaissait ni la ville, ni la gare, ni aucun des endroits dont les gens lui parlaient. Et pourtant il avait déjà reconstitué en esprit un Bergerac assez précis, où il ne manquait presque rien. » – avant de s’intéresser à quelques-uns de ses habitants, des notables en particulier.
On sait que l’observation est pour le commissaire l’accès privilégié à la compréhension des hommes et des événements. Dans Le fou de Bergerac, c’est à partir de ce qu’il voit depuis la fenêtre de sa chambre ou de ce qu’il imagine grâce aux comptes rendus de Mme Maigret – la place du marché, la maison du procureur, la villa du docteur – et de l’attention qu’il porte aux différents bruits qui rythment la journée – le bavardage des ménagères faisant leurs courses, des ouvriers sortant d’une imprimerie, le claquement des boules de billard dans la grande salle de l’hôtel à l’heure de l’apéritif – qu’il se fait peu à peu une opinion sur une affaire complexe de chantage sur fond d’usurpation d’identité.
Le point fort du roman est l’opposition entre Paris et le reste de la France. Né dans le Bourbonnais où il a passé sa jeunesse, devenu Parisien, Maigret aime peu la province, qu'il trouve ennuyeuse et a peu d'estime pour ses notables, coupables à ses yeux d’être animés par des desseins obscurs ou de dissimuler des secrets inavouables, tout en se protégeant les uns les autres : « Tout cela formait un clan ! Cela se soutenait ! »
Il ne garde donc pas un souvenir impérissable de Bergerac. Face à des gens enfermés dans leurs certitudes – « Cette affaire est lamentable et menace la tranquillité d’un si beau pays… Que cela arrive à Paris, où le vice règne à l’état endémique… Mais ici ! » –, confronté à une société clanique qu’il méprise, furieux de son impuissance – « Il éclatait ! Non, il n'avait pas d’idée ! Non, il ne s'y retrouvait pas dans cette histoire compliquée comme à plaisir ! » – et finalement incapable d'empêcher le coupable de se donner la mort avant d’être livré à la justice, il est si heureux de repartir pour Paris qu’il en oublie sa réserve habituelle : « Pour aujourd’hui, enfin, des truffes en serviette, du foie gras du pays… Et l’addition !... On fout le camp ! »
Georges Simenon, Le fou de Bergerac © Paris, Fayard, 1932 et Paris, Omnibus, 2007.