Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'affaire Saint-Fiacre est le premier, et le seul, roman de la série dans lequel Maigret revient sur les lieux de son enfance, dans le château où son père était le régisseur du comte de Saint-Fiacre. Cette période de sa vie sera aussi évoquée dans Un échec de Maigret ou L’ami d’enfance de Maigret,. Si le roman tourne autour du personnage de Gautier, l’actuel régisseur, la comparaison s’arrête là, celui-ci n’ayant ni la rigueur morale ni le dévouement d’Evariste Maigret

L'intrigue commence avec un avertissement anonyme1 au commissaire – « Je vous annonce qu’un crime sera commis à l'église de Saint-Fiacre pendant la première messe du Jour des morts. » – qui se révèle prémonitoire quand la veille comtesse de Saint-Fiacre succombe à un arrêt cardiaque pendant l’office auquel Maigret, venu sur place, assiste.

Et Maigret éprouvait les sensations d’autrefois : le froid, les yeux qui picotaient, le bout des doigts gelé, un arrière-goût de café. Puis en entrant dans l’église, une bouffée de chaleur, de lumière douce ; l’odeur des cierges, de l’encens… (2007-II : 457)

Château de Paray-Le-Frésil (TripAdvisor)

Une fois établi que le décès est dû à une vive émotion (un extrait de journal annonçant le suicide de son fils, placé dans le missel de la comtesse), Maigret commence son enquête auprès de la panoplie de personnages composant la société du village : le médecin, le curé, le régisseur du château et son fils, l’aubergiste. Sans oublier le secrétaire (et amant) de la comtesse et le jeune comte Maurice de Saint-Fiacre, arrivé sur place le jour du décès pour, à son habitude, demander de l’argent à sa mère.

On devait parler dans tout le Berry2 de la vielle folle qui gâchait la fin de sa vie avec ses soi-disant secrétaires ! Et des fermes qu’on vendait les unes après les autres ! Et du fils qui faisait l’imbécile à Paris (2007-II : 502-503)

Est-ce la complexité de l’affaire ou son aspect insolite (« L’arme du crime ! Un morceau de journal grand de sept centimètres sur cinq ! »), Maigret est-il ému de revoir les lieux de sa jeunesse et la comtesse qui l’impressionnait tant enfant, toujours est-il que le drame l’atteint personnellement et le met mal à l’aise, au point de l’empêcher de réfléchir :

La journée devait être marquée jusqu’au bout par le signe du désordre, de l’indécision, sans doute parce que personne ne se sentait qualifié pour prendre la direction des événements.

Maigret, engoncé dans son loirs pardessus, errait dans le village, On le voyait tantôt sur la place de l’église, tantôt aux environs du château dont les fenêtres s’éclairaient les unes après les autres. (2007-II : 493-494)

Moulins

Bien qu'il mène son enquête, dans le village et à Moulins, ce n’est pas lui qui « pour la première fois a l’impression très nette d’être inférieur à la situation » mais Maurice de Saint-Fiacre qui prend les choses en main et fait éclater la vérité au cours d’une scène finale mêlant la farce et le drame, un dîner « sous le signe de Walter Scott » réunissant au château les protagonistes et les témoins de l’affaire3.

L’affaire Saint-Fiacre reprend les thèmes de la déchéance financière (Maigret et les témoins récalcitrants) et de l’avidité (L’ombre chinoise) autour desquels s’opposent la petite noblesse de province désargentée et des profiteurs sans scrupules. Personne, si ce n’est le « fils de famille décavé » qui trouve dans la situation l'occasion de retrouver sa dignité et son rang, n’en sort indemne. Même pas Maigret, sur qui ce retour à Saint-Fiacre n’est pas sans laisser de traces. Car, si une certaine nostalgie le ramène à une époque heureuse révolue, l’atmosphère de l’église par exemple ou l’auberge de Marie Tatin, ses souvenirs d'enfance en ressortent abîmés, tant sa désillusion est grande devant ce qu’est devenue celle qui personnifiait pour lui trente ans auparavant « toute la féminité, toute la grâce, toute la noblesse » :

Certes, il n’avait aucune illusion sur les hommes. Mais il était furieux qu’on vînt salir ses souvenirs d’enfance ! La comtesse surtout, qu’il avait toujours vue noble et belle comme un personnage de livres d’images…

Et voilà que c’était une vieille toquée qui entretenait des gigolos ! (2007-II : 476)

Georges Simenon, L’affaire Saint Fiacre © Paris, Fayard, 1932 et Omnibus, 2007


  1. Simenon utilise le même procédé dans Signé Picpus et dans Maigret hésite.
  2. Erreur de Simenon, Paray-le-Frésil, et donc Saint-Fiacre, est dans le Bourbonnais.
  3. Dans son adaptation en 1959, Jean Delannoy a inversé les rôles, certainement pour donner la part belle à Jean Gabin.
Tag(s) : #1932, #Bourbonnais, #Scènes de la vie de province, #Fayard
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :