Tous ceux qui côtoient de près ou de loin Ferdinand Fumal, le « roi de la boucherie », le détestent : sa femme, ses collaborateurs, ses partenaires en affaires et même ses amis politiques. Il le sait et, quand il reçoit des menaces de mort, il prend peur et demande l’aide de la police. Maigret hérite de l’affaire et se retrouve face à celui qu’il a côtoyé jadis à l’école communale de Saint-Fiacre. Sans grand enthousiasme, car le fils du régisseur du château ne garde pas de bons souvenirs du fils du boucher qui a autrefois essayé d’entraîner son père dans des arrangements douteux.
Cela l’inquiétait de voir surgir ainsi d’un lointain passé un garçon pour lequel il avait toujours eu de la répugnance et dont le père avait fait du mal au sien. (2007-VI : 858).
Il envoie quand même un inspecteur surveiller le domicile de Fumal, mais celui-ci est retrouvé mort dans son bureau le lendemain matin.
Si l’on excepte quelques brèves incursions chez des proches de la victime, l’enquête se déroule au domicile de Fumal où vivent non seulement son épouse et le personnel de maison, mais aussi ses plus proches collaborateurs, Louise Bourges, sa secrétaire, et Joseph Goldman, son homme d’affaires. Une fois écartée la culpabilité d’un concurrent venu rendre visite à Fumal peu avant sa mort, le roman relève de l’énigme en lieu clos, dans l’atmosphère pesante et irréelle de l’hôtel particulier du boulevard de Courcelles, qui n’est pas sans rappeler la demeure des Lachaume dans Maigret et les témoins récalcitrants.
L’atmosphère était aussi morne que celle d’un palais de justice de sous-préfecture. Il y avait trop d’espace, pas assez de vie, les voix résonnaient entre les murs peints en imitation de marbre. (2007-VI : 867)
Les interrogatoires confirment l’impression que Maigret a de Fumal depuis leur rencontre au quai des Orfèvres : un homme dur en affaires, tyrannique avec ses collaborateurs et sans pitié pour ses concurrents, dont certains se sont suicidés après qu’il les ait humiliés et ruinés. Un homme haï de tous ceux qui l’approchaient, Maigret compris !
Et pourtant, il n’avait jamais eu aussi peu envie de découvrir l’assassin. Certes, il était curieux de savoir qui s’était enfin décidé à supprimer Fumal, quel homme ou quelle femme en avait eu assez et avait risqué le tout pour le tout. Mais en voudrait-il à ce criminel-là ? N’aurait-il pas un serrement de cœur en lui passant les menottes ? (2007-VI : 890)
Pourtant, le riche entrepreneur, « méchant pour le plaisir de l’être » et à qui il était presque impossible de cacher quelques chose, était trompé par ceux qu’il croyait dominer : sa femme, délaissée et alcoolique, hébergeait à son insu son frère dans une chambre de bonne ; sa secrétaire monnayait des informations confidentielles ; son conseiller financier avait très certainement détourné de grosses sommes. Quant au concierge-valet de chambre, un ancien braconnier que Fumal avait sauvé de l’échafaud pour en faire un serviteur à sa merci, il le détestait particulièrement pour l'voir placé sous sa coupe.
Un échec de Maigret s’intéresse ainsi de près aux rapports de classes, d'abord à partir de ce qu’a connu Maigret dans sa jeunesse, l’antagonisme entre le fils du régisseur du château, un homme instruit proche du comte de Saint-Fiacre, et le fils d’un humble boucher de campagne, moqué par ses camarades et qui a voulu prendre sa revanche. Cette volonté de sortir de sa condition sociale anime également Louise, la secrétaire indélicate, et son amant Félix, le chauffeur, impatients tous les deux de passer du statut d’employés subalternes à celui de propriétaires d’une auberge à Giens. Quant à Victor, « né dans une cabane des bois où son père mangeait des corbeaux et des bêtes puantes », l’ancien braconnier « en lutte ouverte avec les gendarmes et les gardes » et aujourd’hui prisonnier de sa loge, il est à la fois coupable et victime, ce qui amène Maigret, sinon à avoir de la sympathie pour lui, du moins à le comprendre.
Roman d’un double échec (relatif toutefois, puisque le meurtrier de Fumal est finalement arrêté, comme est finalement retrouvée une touriste anglaise dont la mystérieuse disparition constitue une intrigue secondaire), Un échec de Maigret est l’occasion de revenir sur la jeunesse du commissaire. Une évocation douloureuse puisque, après la mort de la comtesse (L’affaire Saint-Fiacre), l’image de l’idéal féminin pour le jeune Maigret, l’achat du château et des terres attenantes par l’être vulgaire et odieux qu’est Fumal sonne la fin des souvenirs et des émerveillements de l’enfance.
Simenon ne donne pas toujours des titres aux chapitres de ses romans. Ceux d'Un échec de Maigret, non dépourvus d’humour, résument l’intrigue tout en proposant un Dramatis personæ :
La vieille dame de Kilburn Lane et le boucher du parc Monceau.
Introduction de la première enquête qui va rapidement devenir secondaire avec l’affaire Fumal.
La secrétaire qui de méfie et l’épouse qui ne cherche pas à comprendre.
La secrétaire et l’épouse de Ferdinand Fumal.
Le passé du valet de chambre et le locataire du troisième.
Le concierge-valet de chambre et le conseiller financier.
La femme soule et le photographe aux pas feutrés.
L’épouse encore et un photographe sans gène.
La dame qui aime le coin du feu et la demoiselle qui aime manger.
La logeuse de la maîtresse de Fumal et la demoiselle elle-même.
L’homme dans le cagibi et les emprunts à la petite caisse.
Le beau-frère de Fumal et ses indélicatesses.
Simple problème d’arithmétique et un souvenir de guerre moins innocent.
Maigret réfléchit… et Simenon se trompe car il n’est en réalité fait mention du « souvenir de guerre » que dans le chapitre suivant !
La fenêtre, le coffre, la serrure et le voleur.
Reconstitution et explication finale.
La recherche des disparus.
Epilogue. Un échec relatif.
Georges Simenon, Un échec de Maigret © Paris, Presses de la Cité, 1956 et Omnibus, 2007.