
Maigret tend un piège est un des romans les plus connus de la série des Maigret, grâce surtout au film de 1958 de Jean Delannoy avec Jean Gabin. Aussi parce que ce roman à suspense propose une étude poussée de la personnalité complexe d'un assassin, qui occupe d'ailleurs un chapitre entier. Ici, la finesse de jugement déployée par Maigret pour percer le mécanisme mental d’un homme faible écartelé entre deux « femelles possessives » et prêt à tout pour s’affirmer est tout à fait convaincante.
Paris a peur depuis que cinq jeunes femmes ont été assassinées à Montmartre. On sait que de telles affaires alimentent régulièrement les chroniques criminelles et passionnent l'opinion, comme on a pu le voir dans les années 80 et 90 voir avec les tueurs en série Thierry Paulin et Guy Georges. Alors que l’enquête piétine, Maigret en discute chez son ami Pardon avec le professeur Tissot, médecin-chef de l’hôpital psychiatrique Sainte-Anne. Celui-ci sait d’expérience que l’orgueil est souvent le mobile d’assassins récidivistes voulant montrer à la face du monde qu’ils ne sont pas des hommes ordinaires. Ce qui donne au commissaire l’idée de divulguer la fausse information que le tueur a été arrêté afin de mettre en place une souricière, qui n'aura pas le résultat espéré.
Maigret croyait comprendre ce que Tissot voulait dire en parlant de responsabilité. C’était de lui, plus exactement de la façon dont il envisagerait le problème, que le sort d’un certain nombre de femmes dépendait. (2007-VI : 749)
Portrait d’un serial killer avant l'heure, Maigret tend un piège suit une structure stricte : après la présentation des faits, la conversation avec Tissot, la mise en place du piège (à laquelle participe l'inspecteur Lognon), l’enquête scientifique et le travail de terrain, le roman se conclut dans les locaux de la P.J. par une confrontation qui reste un modèle du genre et que le film de Delannoy avec Gabin, Jean Dessailly, Annie Girardot et Lucienne Bogaert restitue fidèlement. Maigret en sort physiquement et moralement épuisé (« C’est fini, mes enfants ») et, laissant les journalistes au juge Cornéliau, n'a de cesse de rentrer chez lui pour retrouver son épouse et aller au cinéma.
Mme Maigret ne lui posa pas de questions. Elle sentait confusément qu’il revenait de loin, qu’il avait besoin de se réhabituer à la vie de tous les jours, de coudoyer des hommes qui le rassurent. (2007-VI : 842)
Georges Simenon, Maigret tend un piège, © Paris, Presses de la Cité, 1955 et Omnibus, 2007.
Maigret tend un piège a connu six adaptations télévisées. La plus récente, Maigret sets a trap, a été réalisée de façon convaincante par Ashley Pearce en 2016 pour la télévision britannique : la complexité du tueur est bien cernée, de même que les relations tendues entre Maigret et le pouvoir politique (un ministre qui veut des têtes pour sauver la sienne; la complicité du commissaire avec Mme Maigret et les relations avec les Pardon sont pertinentes. Enfin, l’enquête est crédible, même si l'on peut être surpris de voir le commissaire réfléchir dans son bureau alors que Maigret enquête en général en déambulant dans les rues de Paris en s’imprégnant de l’atmosphère. On sourira également de quelques anachronismes : un fait-divers avec photographie à la « une » du journal Le monde en 1955, Maigret penché sur un tableau des suspects… On sera aussi surpris, dans la version française, d’entendre les inspecteurs donner du « chef » à Maigret alors que la plupart de ses collaborateurs l’appellent « patron ».
Rupert Davies ayant incarné le commissaire dans 52 épisodes dans les années 60, Rowan Atkinson n’est pas le premier Maigret anglais. Surtout connu pour son rôle de Mr Bean – Jean Richard et Gino Cervi furent aussi des acteurs comiques avant de reprendre le rôle – il est crédible : il n'a certes pas la carrure idéale de Bruno Cremer – « La charpente était plébéienne. Il était énorme et osseux » écrit Simenon dans Pietr le Letton – mais il est lent et taiseux, pas très sûr de lui. C’est un type ordinaire, fragile aussi, qui fait son travail et qui rentre ensuite tranquillement à pied chez lui.