Raymond Couchet, qui dirige une importante affaire de produits pharmaceutiques, a été assassiné dans son bureau, au fond de la cour d'un immeuble de la place des Vosges. La concierge, qui a découvert le corps, appelle le quai des Orfèvres et Maigret se rend sur place. Il découvre qu’une importante somme d'argent a disparu du coffre-fort de l’entreprise.
Le commissaire, qui dans L’ombre chinoise, enquête seul, sans avoir recours à son équipe, apprend rapidement que trois femmes constituaient l’entourage de la victime : Nine, sa jeune maîtresse depuis six mois, son épouse, grande bourgeoise délaissée, et Juliette Martin, avec qui il a été marié et dont il a eu un fils, une femme aigrie, remariée avec un insignifiant petit fonctionnaire de l’Enregistrement, En plus de l’immeuble de la place des Vosges, où vivent les Martin, l’enquête conduit Maigret à l’appartement cossu des Couchet boulevard Haussmann et au petit hôtel de Pigalle où habite Nine. Trois adresses pour trois femmes.
Mais c’est surtout dans l’immeuble du Marais que se passe l’essentiel de l’action, avec ses locataires très différents, un ancien ambassadeur dont l’épouse vient d’accoucher, le couple Martin ou deux vieilles femmes qui n’ont plus toute leur tête…
Eh bien non ! Le drame était bien dans la maison ! Maigret était incapable de dire pourquoi, mais il en était sûr.
Quel drame ? Il n’en savait rien.
Seulement il sentait que des fils invisibles se tendaient, qui reliaient des points si différents de l’espace, allaient de la place des Vosges à cet hôtel de la rue Pigalle, de l’appartement des Martin au bureau des Sérums du docteur Rivière, de la chambre de Nine à celle du couple abruti par l’éther. (2007-II : 367)
Au 61 place des Vosges, Maigret investit le logis des Martin, dont l’ameublement étriqué et sinistre est à l’image des occupants : un couple dominé par la figure de Mme Martin, où le ressentiment se mêle à la cupidité. L’ombre chinoise devient alors un roman tragique, la description d’une existence mesquine qui conduit au vol et au meurtre avec au bout la folie, la détresse et la solitude. Des histoires de famille et une « grisaille sirupeuse » pour une tragédie de l’inutile.
Pourtant, entre la médiocrité des Martin et l’arrogance de la famille de la femme de Couchet (« C’était une femme distinguée, qui saurait tenir son rang »), émergent deux personnages positifs : la victime, l’homme aux trois femmes que Maigret apprend à connaitre et pour qui il ressent une forte empathie,
– Sacré Couchet !
Cela lui était venu aux lèvres comme si Couchet eût été un vieux camarade. Et il avait à tel point cette impression que l’idée qu’il ne l’avait jamais vu que mort le stupéfiait. (2007-II : 395)
et Nine, qui lui inspire la tendresse qu’il a pour les filles fragiles et un peu perdues.
Georges Simenon, L’ombre chinoise © Paris, Fayard, 1932 et Omnibus, 2007.