Maigret et le voleur paresseux propose deux enquêtes distinctes, l'une sur le meurtre d’Honoré Cuendet, un cambrioleur habile que connaissait bien Maigret, un peu vite considéré comme relevant du simple règlement de comptes par des autorités soucieuses de voir plutôt arrêtés des malfrats responsables de braquages sanglants qui mettent l’’opinion publique en émoi. D'où une longue parenthèse avant que le commissaire ne puisse se consacrer discrètement à rechercher celui qui a tué « son voleur ». Les deux enquêtes n’aboutiront qu'en partie, l'une parce qu’il est difficile de faire avouer des truands chevronnés, l'autre du fait des protections en haut lieu dont bénéficient certains suspects…
Histoire d’un demi-échec, le roman revient, après Maigret aux assises, sur les désillusions du commissaire devant l’évolution du rôle de la police face à une magistrature disposant de plus en plus de prérogatives. C'est même un Maigret rebelle qui s'en prend à un Parquet composé de « jeunes gens instruits, bien élevés, issus des meilleures familles de la République » mais peu familiers du terrain et obsédés par la peur d’être pris en défaut1. Une révolte qui conduit celui qui « continue de croire à l’homme » à confier à son ami Pardon son écœurement face à une police qui n’a plus pour objectif principal de veiller sur la vie des individus, mais de protéger « l’Etat, d’abord, le gouvernement, quel qu’il soit, les institutions, ensuite la monnaie et les biens publics… »
Maintenant, on les obligeait à tricher. On, c’était le Parquet, les gens du ministère de l’Intérieur, tous ces nouveaux législateurs enfin, sortis des grandes écoles, qui s’étaient mis en tête d’organiser le monde selon leurs petites idées.
La police, à leurs yeux, constituait un rouage inférieur, un peu honteux, de la Justice avec une majuscule. Il fallait s’en méfier, la tenir à l’œil, ne lui laisser qu’un rôle subalterne. (2007-VII : 779)
Maigret et le voleur paresseux oppose deux méthodes d'investigation : l'une fondée sur les filatures, les recherches de témoignages, les interrogatoires et le travail de la police scientifique, l'autre, privilégiée par le commissaire pour découvrir qui a tué Cuendet, que l'on peut appeler la « méthode Maigret » : interroger les concierges, monter les étages, pénétrer dans l’intimité des gens pour mieux se mettre à leur place et les comprendre.
Roman de la désillusion, Maigret et le voleur paresseux est aussi un témoignage sur une société en mutation. Le travail de la police a changé, les méthodes des truands aussi : ceux qui autrefois « savaient à peine lire et écrire » et « portaient leur profession sur leur visage » sont devenus des « techniciens ». Autre signe des temps, les petits établissements populaires, les « restaurants de chauffeurs », qu’affectionne Maigret disparaissent, remplacés par des self-services.
En réalité, c’était une récréation qu’il s’était offerte, comme à la sauvette, et il en avait un peu de remords. Pas trop cependant parce que d’abord, Olga n’avait pas exagéré quant à l’andouillette, ensuite parce que le beaujolais, encore qu’un peu épais, n’en était pas moins fruité, enfin parce que dans un coin, devant une table sur laquelle le papier rugueux tenait lieu de nappe, il avait pu ruminer à son aise. (2007-VII : 832)
Maigret et le voleur paresseux peut faire changer d'avis ceux qui pensent que les enquêtes du commissaire dans le monde du banditisme ne sont pas les plus convaincantes. Celle-ci est bien menée et la description des filatures et de la mise en place des sourcières pour « loger » et « serrer » les braqueurs met en valeur la coordination entre les services. A cette efficacité fondée sur l'expérience et la connaissance du terrain, Simenon oppose l'attitude hautaine de « magistrats sérieux, appartenant à la meilleure bourgeoisie de Paris. ». D'où le plaisir que prend Maigret à élucider le meurtre de son voleur, qui restera pourtant impuni, la direction de la police et la magistrature veillant à éviter tout remous quand les intérêts de la bonne société sont concernés.
Mais l’on retiendra aussi une certaine nostalgie du travail « à l’ancienne » que reflète la longue conversation qu’a le commissaire avec Mme Maigret, à qui il résume la vie de Cuendet et fait le point sur son enquête. Comme si, frustré de ne pouvoir travailler avec ses inspecteurs, son épouse restait le seul interlocuteur avec qui il puisse confronter ses hypothèses.
1 Le roman a été écrit en 1961. L’Ecole nationale de la magistrature (alors Centre national d’études judiciaires a été fondé en 1958.
Georges Simenon, Maigret et le voleur paresseux © Paris, Presses de la Cité, 1961 et Omnibus, 2007.