Maigret pense que Joseph Heurtin, condamné à la peine capitale pour le meurtre d'une riche Américaine et de sa femme de chambre, a été un coupable un peu trop parfait. Il organise sa fausse évasion de la prison de la Santé, pour mieux rechercher le véritable assassin et les commanditaires éventuels du crime. La tête d’un homme devient alors une longue traque impliquant Heurtin mais aussi Jean Radek, un ancien étudiant en médecine, et un couple de riches Américains. Dans l’univers cosmopolite d’avant-guerre où se mêlent déclassés et oisifs fortunés, monde et demi-monde – univers dont Georges Simenon était familier (le roman a été écrit à l’hôtel Aiglon, boulevard Raspail, dans le quartier où se situe une partie de l'intrigue) – l’action, assez rocambolesque, mêle les brasseries à la mode de Montparnasse, La Coupole en particulier, et les villas cossues de Saint-Cloud.
Au carrefour Montparnasse, la vie battait son plein. Il était midi et demi. Malgré l’automne, les terrasses des quatre grands cafés qui s’alignent à proximité du boulevard Raspail regorgeaient de consommateurs parmi lesquels il y avait une proportion de quatre-vingts pour cent d’étrangers. (2007-I : 504)
Si le début de l'histoire est peu crédible – Maigret se veut certes un raccommodeur de destins mais de là à aller contre une décision de justice et à faire évader un condamné à mort, il y a un pas – la suite est efficace et propose même une forme de suspense. L'intrigue se prête d'ailleurs bien aux adaptations à l’écran (deux au cinéma et sept à la télévision, un record), ce que confirma dès 1933, deux ans après la parution du roman, le succès du film réalisé par Julien Duvivier, avec Harry Baur dans le rôle du commissaire.
Alors qu’une partie du roman concerne la « fuite » de Joseph Heurtin, un être fruste ballotté par la vie, Simenon s’intéresse surtout à la personnalité de Jean Radek, un étudiant tchèque frustré que sa brillante intelligence ne soit pas reconnue, prêt à la mettre au service d'un plan machiavélique.
Il est seul ! Il veut rester seul ! Il se ronge. Il puise une volupté perverse dans sa solitude, sans le sentiment de sa supériorité et de l’injustice du sort à son égard. (2007-I : 570)
Face à ce personnage cynique, manipulateur et (trop) sûr de lui, qui n’est pas sans rappeler le Raskolnikov de Crime et Châtiment, Maigret se livre à une guerre des nerfs, opposant sa placidité à l’arrogance de Radek et l’amenant inexorablement à douter de plus en plus de lui-même : « C’était le Maigret des grands jours, le Maigret puissant, sûr de lui, placide. »
Patient et tenace, accroché à son intime conviction – il risque sa carrière dans l’affaire – Maigret parvient à réparer une erreur judiciaire en livrant le vrai coupable à la cour d’assises qui l’enverra à l’échafaud1. Quant à Joseph Heurtin, « Celui-là ne remontera jamais le courant ! ». La tête d’un homme pour celle d'un autre en quelque sorte. De quoi laisser Maigret abattu, bouleversé par les derniers mots du condamné avant son exécution – « Vous allez retrouver votre femme, n’est-ce pas ?... Elle vous a préparé du café … » – incapable de rentrer chez lui et de retrouver un peu de chaleur et de normalité.
1- La peine de mort n'a été abolie en France cinquante ans après la parution du roman.
Georges Simenon, La tête d'un homme © Fayard, 1931 et Omnibus, 2007.