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Dans une ancienne édition du Livre de poche, Le chien jaune bénéficiait d’une illustration de couverture qui évoquait une atmosphère à la Francis Carco. On retrouve une ambiance similaire dans l'excellente adaptation télévisée de Claude Barma en 1968. Car Le chien jaune est avant tout un roman d’atmosphère : certes , l'énigme est solide de bout en bout mais c’est l’environnement, humide et froid, qui contribue à créer l’image d’une ville hostile que la peur envahit peu à peu.

Les événements troublants s’enchainent en effet à Concarneau. Dès les premières pages, après une tentative d'assassinat sur un honorable citoyen alors qu’il sortait de l’Hôtel de l’Amiral, ses partenaires de jeu sont terrifiés :

Jamais Maigret n’avait vu poindre aussi vite l’ombre pâle de la peur. Quelques instants avaient suffi. Toute chaleur avait disparu des regards et la couperose semblait artificielle sur les joues de Le Pommeret (2007-I : 595)

A juste titre, car les incidents se succèdent, visant les habitués de l’Hôtel de l’Amiral : une bouteille d’apéritif se révèle contenir de la strychnine, Servières, le rédacteur du journal local, disparait et Le Pommeret meurt empoisonné chez lui. De quoi paniquer le docteur Michoux, le quatrième du groupe. Maigret, dépêché de Rennes sur les lieux à la demande du maire, décide de faire incarcérer le médecin pour le rassurer et assurer sa protection.

Ces événements agissent d'autant plus sur l'effet de peur collective qu'un chien, «  une grosse bête jaune et hargneuse », erre dans la ville depuis la première tentative de meurtre:   

Dans l’atmosphère de drame, ce chien a quelque chose d’inquiétant. Peut-être sa couleur, d’un jaune sale ? Il est haut sur pattes, très maigre, sa grosse tête rappelle à la fois le mâtin et le dogue d’Ulm. (2007-I : 589)

Seul à enquêter au côté d’un jeune inspecteur adepte de méthodes scientifiques, Maigret compte surtout sur son intuition, même si, vers la fin du roman, il explique au maire ce qu’il a pu déduire logiquement de la série des événements qui ont agité la ville. Peu bavard comme à son habitude (ses interventions dans le premier chapitre ne sont pratiquement que des questions brèves), il s’imprègne de l’atmosphère d’une ville que le mauvais temps et les rumeurs rendent de moins en moins accueillante :

Les piétinements et les conciliabules cessèrent sur le trottoir, et il n’y eut plus que la plainte monotone du vent, la pluie qui battait les vitres. (2007-I : 599)

Histoire du désir de vengeance d’un homme honnête mais naïf manipulé par des êtres sans scrupules, Le chien jaune joue habilement sur la peur qui s’empare d’une petite ville quand des faits inexpliqués se produisent. Une peur qu’amplifie encore l’agitation des journalistes et des photographes venus de Paris pour couvrir l’affaire, mais qui laisse le commissaire indifférent :

Quand on n’était pas habitué à Maigret, c’était déroutant, en pareil cas, de voir ses gros yeux vous fixer au front comme sans vous voir, puis de l’entendre grommeler quelque chose d’inintelligible en s’éloignant, avec l’air de vous tenir pour quantité négligeable. (2007-I : 622)

Maigret est d’autant plus indifférent qu’il ne ressent aucune affinité avec les principaux protagonistes, des notables de province (voir La maison du juge et L’inspecteur Cadavre), débauchés, contents d’eux, qu’il oppose aux humbles, durs à la peine et qui sont ici leurs victimes. Ce qui explique son attitude bienveillante envers Emma, la serveuse de l’Hôtel de l’Amiral qui l’intrigue et même le fascine depuis son arrivée à Concarneau (« Il y avait une sorte de sympathie entre la fille de salle et le commissaire. ») et sa détermination à l’aider. Un attachement pour les faibles et ceux qui souffrent, que ce soient les humains ou le mystérieux chien errant victime de la peur collective.

Maigret est par contre sans pitié pour le trio à l’origine du drame, comme le montrent les notes de son  carnet : Michoux, médecin et promoteur raté (« Type de dégénéré. Échéances difficiles. ») ; Le Pommeret, fils de famille oisif et désargenté (« Parvient à faire figure de notable en cirant lui-même ses chaussures. »);  Servières, beau parleur revenu de Paris (« Train de maison bourgeois. Quelques frasques à Brest et à Nantes. »). Des hommes qui trompent leur ennui et le vide de leur existence entre apéritifs et parties de cartes en débauchant les filles des usines… Il n’est guère plus tendre avec le maire de la ville qui appartient au même monde et qui le presse de trouver un coupable pour que le calme et la sérénité reviennent :

Et j’ajouterai, Monsieur le maire, avec tout le respect que je vous dois, que, quand je prends la responsabilité d’une enquête, je tiens avant tout à ce qu’on me f… la paix. (2007-I : 661)

Au terme d’une enquête bien menée, Le chien jaune, ce « vrai plongeon dans la vie provinciale. » se termine par l’arrestation des coupables et par un happy end (que la complicité de Maigret favorise) permettant aux victimes de refaire leur vie. La boucle est bouclée, Simenon allant même, chose rare, jusqu'à préciser dans les dernières lignes du roman le sort de chacun.

Georges Simenon, Le chien jaune © Paris, Fayard, 1931 et Omnibus, 2007

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Tag(s) : #1931, #Scènes de la vie de province, #Fayard, #Bretagne
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