Maigret s’ennuie ferme à Luçon, en Vendée, où, tombé en disgrâce (il reviendra sur cet épisode dans Maigret et le ministre), il a été nommé commissaire central. Fort heureusement, il doit se rendre à L’Aiguillon-sur-Mer où un inconnu a été retrouvé mort le crâne fracassé dans la maison d’un juge en retraite. Loin de Paris et de la Police judicaire, il y découvre deux mondes, celui des marins et des boucholeurs et celui du juge Forlacroix, un notable revenu dans la maison familiale pour s’occuper de sa fille Lise qui souffre de graves troubles psychiques.
La maison du juge est le roman des contrastes. Enfin tiré de la routine de son exil (« … il se roulait presque voluptueusement dans cette enquête qui lui tombait du ciel… » 435), Maigret passe sans problème de l’intérieur cossu de l’ancien magistrat, vieil Armagnac en main dans la bibliothèque, au bistrot du port, devant une mouclade et un verre de vin blanc. Fidèle à ses habitudes, il s’imprègne des ambiances pour mieux comprendre les deux sociétés qui s’opposent à L’Aiguillon, celle des notables autour du juge et celle des hommes de la mer à laquelle appartient Airaud, le soupirant de Lise, mais aussi Albert, le propre fils du magistrat.
Depuis quand cela ne lui était-il plus arrivé d’entrer dans une maison, comme il l’avait fait un peu plus tôt, de renifler, d’aller et venir, lourd et patient, jusqu’à ce que l’âme des gens et des choses n’aient plus de secret pour lui ? (200-III : 435)
La particularité de La maison du juge est de comporter deux intrigues, celle du mort de L’Aiguillon que Maigret élucide, et une autre, vieille de quinze ans et non résolue alors, impliquant directement Forlacroix alors qu'il était juge à Versailles. Ce n’est que parce que celui-ci se confesse au commissaire pour libérer sa conscience que l’affaire trouve enfin sa conclusion.
Forlacroix, ainsi placé au centre du roman, assure le lien entre deux histoires tragiques d’amours contrariées sinon impossibles. En l’écoutant et en découvrant cette malédiction familiale, Maigret en vient à se glisser pratiquement dans la peau du juge, quand par exemple il fait visiter la maison de L’Aiguillon au juge d’instruction ou quand, revenu sur les lieux du drame de Versailles, il se remémore mot pour mot les propos de Folacroix. Une fois encore, tout en ne négligeant pas l’enquête, c’est une expérience humaine qu'il vit.
La maison du juge marque, avec Les caves du Majestic et Cécile est morte (édités en 1942 dans Maigret revient…), le retour du commissaire après une absence de plus de cinq ans (si l’on excepte des nouvelles publiées dans la presse). Simenon éloigne une fois de plus Maigret de Paris et du quai des Orfèvres et l’envoie en Vendée où, une fois oublié la morosité de Luçon, il se trouve très à son aise près de l’Atlantique. On verra plus tard que l’ambiance océanique de la côte vendéenne (L’inspecteur cadavre, Les vacances de Maigret, Maigret a peur) et charentaise (Maigret à l’école) lui réussit fort bien.
Georges Simenon, La maison du juge © Paris, Gallimard, 1942 et Omnibus, 2007.