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Après la parution de Maigret en 1934 chez Fayard, qui devait clore les enquêtes du commissaire, Georges Simenon publie entre 1937 et 194 des  nouvelles le mettant en scène. Cette année-là, paraît chez Gallimard Maigret revient, un recueil de trois romans écrits les années précédentes : Les caves du Majestic (1939), La maison du juge (1939) et Cécile est morte (1940) qui ouvre le volume.

L’histoire commence quand une jeune femme, Cécile Pardon, fait le siège du bureau de Maigret pour lui faire part de ses inquiétudes : des objets changent de place la nuit dans l’appartement de sa tante, Juliette Boynet, une vieille femme infirme avec qui elle vit et à qui elle sert de domestique. Préoccupé par d’autres affaires, le commissaire ne la prend pas au sérieux, jusqu’au jour où la vieille dame est retrouvée morte, étranglée dans son lit. Quelques heures plus tard, Cécile est étranglée elle aussi dans un couloir reliant la Police judiciaire au Palais de justice de Paris. Pourquoi a-t-elle quitté précipitamment la salle d’attente devant le bureau de Maigret ?

Les deux meurtres vont profondément marquer Maigret. Le fait que Cécile soit morte lui donne « froid dans le dos en dépit de son lourd pardessus » et, comme le résume le directeur de la P.J., constitue « un des coups les plus durs de sa carrière » (560). Le commissaire connaitra une situation similaire dans La folle de Maigret, paru en 1970 où, mutatis mutandis, on trouve les mêmes éléments de départ. La suite de Cécile est morte révèle une affaire complexe et sordide quand il apparait que Juliette Boynet, sur les conseils d’un avoué véreux condamné autrefois pour outrage aux bonnes mœurs et qui fut son amant, investissait son argent dans des maisons closes. Il faudra tout le flair de Maigret pour élucider l’affaire et faire ressurgir un événement remontant à plusieurs années en arrière.

Cécile est morte est dans la veine des deux autres romans qui composent Maigret revient » : des histoires sombres, sur fond d’appât du gain, de rivalités et de jalousies familiales. Des thèmes très présents dans Signé Picpus qui fait suite au recueil. Au-delà des thèmes, le roman marque le retour de Maigret sur la scène littéraire après une longue absence (les nouvelles évoquées plus haut, parues dans la presse, ne seront éditées que plus tard). Ce n'est donc pas une surprise que Simenon resitue son personnage et le recadre dans son environnement. Dés les premières pages, l’essentiel est rappelé : le domicile du boulevard Richard-Lenoir, le « gros pardessus à col de velours », « le chapeau melon bien enfoncé sur le crâne », la pipe bien sûr, le poêle du bureau… Puis le temps qu’il fait en ce début d’automne un peu frais, les odeurs :

Au passage, Maigret reçut une bouffée odorante qui demeura pour lui la quintessence même de l’aube parisienne : l’odeur du café crème, des croissants chauds avec une très légère pointe de rhum. Il devina, derrière les vitres embuées, dix, quinze, vingt personnes peut-être, autour du comptoir d’étain, faisant leur premier repas avant de courir à leur travail. (2007-III : 529-530)

On retrouve aussi la référence à une affaire récurrente dans la série, la traque de la bande des Polonais de la rue de Birague, dans Pietr le Letton et Maigret et son mortainsi que dans la nouvelle Stan le tueur. Cécile est morte permet donc au lecteur de reprendre ses marques et de se familiariser avec la « méthode Maigret » que Simenon évoque par le biais de la visite d’un criminologue américain en visite d’observation à Paris. On ne sait ce que celui-ci retiendra de son séjour, une compréhension de la façon dont travaille le commissaire ou bien une amélioration de ses connaissances gastronomiques. Pourtant, Maigret se livre devant lui à une brillante comparaison entre le travail du policier et celui du juge, un thème que Simenon développera dans Maigret aux assises :

Remarquez que nous sommes parfois brutaux… Moins qu’on ne le prétend mais beaucoup plus qu’un juge s’instruction ou un substitut… Seulement, au cours de l’enquête, nous avons vécu dans le milieu de l’accusé… Nous sommes allés chez lui… Nous connaissons sa maison, ses habitudes, sa famille et ses amis… J’ai fait ce matin la distinction entre le criminel avant et le criminel après… Eh bien, ce que nous nous attachons à connaître, nous, c’est le criminel avant… Quand nous le remettons entre les mains du magistrat, c’est fini… Il a rompu, presque toujours définitivement, avec sa vie d’homme…C’est un criminel, rien de plus, et les magistrats le traitent comme tel… (2007-III : 616)

Dans sa recherche du criminel, Maigret est attentif aux moindres détails (les bruits dans l’immeuble), soucieux de ne négliger aucune piste, n’hésitant pas à monter et à descendre les étages, à observer l’environnement (« Pourtant, il travailla, à sa manière. Déjà il s’était imprégné de l’ambiance de la maison ») à interroger les témoins. En témoigne ses échanges savoureux avec la concierge de l’immeuble, un modèle d’informatrice acariâtre, vite qualifiée de « Mme Sauf-Votre-Respect », qui le reçoit dans sa loge sinistre :

Une odeur fade qu’épiçait du pipi de matou. Ce matou ronronnait devant le poêle. L’ampoule électrique, dépolie par la poussière de vingt années, répandait une lumière rougeâtre. (2007-III : 548)

Ce retour de Maigret montre l’homme tel que les lecteurs le connaissent ou, pour certains, le découvrent. Un homme qui, dans sa recherche de la vérité, essaie de comprendre les gens, qui, finalement, ne sont guère différents les uns des autres : « Il savait par expérience que la bête humaine s’accommode de n’importe quel nid, du moment qu’elle peut le remplir de sa chaleur, de son odeur, de ses habitudes. » (2007-III : 548). Un homme pudique aussi, choqué par l’attitude de ses voisins au cinéma :

Cet homme puissant, qui depuis bientôt trente ans brassait en quelque sorte des passions poussées au paroxysme, c'est-à-dire jusqu’au crime, était un chaste, et il toussa, choqué par l’attitude de sa voisine et de son compagnon dont il ne voyait que la main laiteuse dans le clair-obscur. (2007-III :587)

Georges Simenon, Cécile est morte © Paris, Gallimard, 1942 et Omnibus, 2007.

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Tag(s) : #1940, #Paris, #Gangsters et milieu, #Gallimard
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