Alors qu’il passe sa retraite à Meung-sur-Loire, entre jardinage et pêche à la ligne, Maigret reçoit en pleine nuit la visite de son neveu, nouvellement entré à la Police Judiciaire. Philippe Lauer a commis une imprudence qui peut lui valoir des ennuis sérieux : pendant qu’il surveillait dans une boite de nuit de Montmartre un truand impliqué dans un trafic de drogue, celui-ci a été assassiné sous ses yeux. Paniqué, le jeune homme a laissé sur place des indices pouvant faire de lui le principal suspect et il a de plus été opportunément aperçu par un témoin alors qu’il sortait de l’établissement pour appeler les secours.
Dans L'écluse n° 1, Georges Simenon, qui voulait clore la série des Maigret pour se consacrer à l’écriture de « vrais » romans, précisait que le commissaire était à quelques jours de la retraite. Il décida pourtant d’arracher Maigret à sa vie tranquille et de lui faire reprendre du service pour ce qui est sa dernière aventure avant son retour près de neuf ans plus tard en 1942. Toutefois, dans l’incapacité d’utiliser les ressources de la police, privé de ses collaborateurs, Maigret doit faire cavalier seul. Il fait alors de l’enquête une affaire personnelle, tant pour innocenter son neveu (qu’il a aidé à intégrer la police mais qui se montre peu doué pour le métier) que pour mettre fin aux agissements de Cageot, le chef d’une bande de trafiquants. Ce qui le fait agir plutôt en détective privé, quand il s’assure par exemple la confiance d’une prostituée pour qu’elle surveille les membres de la bande, prend lui-même en chasse un des hommes de Cageot ou use d’un subterfuge pour soutirer des aveux à ce dernier. Nous sommes loin ici de la méthode Maigret telle que la résume son successeur à la P.J. : « D’habitude, vous vous mêlez de la vie des gens ; vous vous occupez davantage de leur mentalité et même de ce qui leur est arrivé vingt ans auparavant que d’indices matériels. »
Dans cette dix-neuvième et provisoirement dernière enquête du commissaire, Simenon situe l’action à Pigalle dans le monde du milieu, ce qui n'est pas très courant dans la série, La nuit du carrefour étant le seul exemple dans les romans qui précèdent. Ici, l'histoire est peu crédible, les protagonistes étant de plus stéréotypés : de petits truands, un bellâtre sûr de lui, une prostituée au cœur tendre avec qui Maigret développe une relation ambiguë. Seul Cageot, ancien clerc de notaire devenu chef de bande, personnage maladif et sans éclat, sort du lot.
Maigret reste toutefois agréable à lire, avec de l’action et des rebondissements, des coups de feu et même une tentative d’élimination de l’ancien commissaire. On y découvre un Maigret heureux dans sa vie paisible au bord de la Loire mais farouchement déterminé à mettre un terme aux activités de ceux qui ont mis son neveu dans l’embarras. C'est aussi l'occasion pour lui de montrer à ses collègues qu’il n’a pas perdu la main et qu’il sait s'adapter.On y découvre aussi un Maigret un peu taquin, qui prend en charge à sa manière sa belle-sœur venue au secours de son fils et lui fait découvrir les charmes de la capitale, l'entrainant même dans la bote de nuit où tout a commencé.
Georges Simenon, Maigret © Paris, Fayard, 1934 et Omnibus, 2007.