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Alors que Gassin, un vieux marinier, est tombé dans le canal après quelques verres de trop, il est agrippé par un homme en train de se noyer. Celui-ci n'est autre qu’Emile Ducrau, son patron. Une fois les deux hommes repéchés, on s'aperçoit que Ducrau a reçu un coup de couteau dans le dos avant d’être poussé à l’eau. Sauvé in extremis, il fait appel à la police. Chargé de l'enquête, Maigret se retrouve face à un simple marinier devenu un riche armateur à force de travail. Ducrau va peu à peu le prendre pour confident : il mène une double vie entre sa femme qui se dessèche et une maîtresse qui se complaît dans une vie terne et rangée de petite-bourgeoise ; son fils Jean est fragile psychologiquement ; sa fille, qui a épousé un militaire médiocre, ne pense qu’à s’approprier une partie de sa fortune… Dur en affaires, cynique et blessant avec un entourage qu’il méprise tout comme avec son personnel, Ducrau ne peut que constater l’échec d’une vie que ni la réussite ni la fortune n’ont réussi à rendre heureuse.

Vous avez vu ce navet ? Il y en a d’autres en bas et au second, tous bien habillés, honnêtes, ce qu’on appelle travailleurs. Remarquez qu’à l’instant même M. Jaspar se demande avec angoisse ce qu’il a pu faire pour me déplaire. La dactylo va raconter l’incident dans toute la maison et ils en ont pour dix jours à le sucer comme un bonbon. Parce que je leur donne le titre de directeur, ils s’imaginent de bonne foi qu’ils dirigent quelque chose ! Un cigare ? (2007-III : 148)

Comme les personnages de L’homme du banc ou de Maigret et le clochard, Emile Ducrau est tragiquement privé de tout accès au bonheur. Ce que souligne Emmanuel Carrère : « Flaubert, avec Simenon, tous ces grands peintres du morne, de l'élan retombé, du couvercle rabattu sur la tête des héros dès qu'ils essaient de vivre ! »

L'écluse n° 1.

À partir de l’histoire d’une tentative de meurtre suivie d’un assassinat motivé par la jalousie, le roman, outre le portrait de Ducrau, propose une promenade au fil des écluses1 avec leurs péniches et leurs mariniers (voir Le charretier de la Providence et Chez les Flamands), de Paris à Charenton-le-Pont et à Samois-sur-Seine avec ses villas cossues nichées dans la verdure. Une intrigue solide alliée à des personnages bien étudiés, l’évocation saisissante des canaux font de L’écluse n°1 un des meilleurs romans de la série, l'un des plus noirs aussi. Car si la patience de Maigret finit par conduire le coupable aux aveux, il n’a pas pu éviter d’autres drames et d’autres morts.

Le lecteur sera peut-être surpris de voir que Simenon, dans cette dix-huitième enquête de Maigret, semble encore chercher les traits et les particularités du Commissaire, bien que celui-ci soit présenté comme étant à quelques jours de la retraite. On sait que le romancier avait alors l’intention de « se débarrasser » de Maigret pour se consacrer à une œuvre qu’il souhaitait plus sérieuse. Heureusement pour les lecteurs, il n’en fut finalement rien et plus d’une cinquantaine d’enquêtes suivront, dans lesquels on retrouve le Maigret de L’écluse n°1, attentif aux autres et à leur histoire, prêt à comprendre et aussi à pardonner. 

1 - Aujourd'hui disparue, l’écluse n°1 étaitv située jusqu'à 1950 sur le canal de Saint-Maurice et la dernière dérivation de la Marne, un lieu apprécié des promeneurs et des pêcheurs qui est aujourd'hui recouvert par une voie rapide.

Georges Simenon, L'écluse n° 1 © Paris, Fayard, 1933 et Omnibus, 2007.

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Tag(s) : #Banlieue, #Paris, #Quais, #1933, #canaux, #Bords de Seine, #Péniches et mariniers, #Fayard
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