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Qui pouvait en vouloir à Jules Lapie, dit Jambe-de-Bois, pour l’assassiner dans le pavillon qu’il avait fait construire dans un nouveau lotissement sans âme1 des environs de Poissy ? Ce vieil original grognon, comptable retraité, avait-il des ennemis ? Toujours fidèle à son modus operandi – « Il s’installe dans une enquête comme dans des pantoufles » dit de lui son chef. 764) - Maigret prend pension à l’auberge du village afin de rester à proximité de la maison de Lapie et surtout de Félicie, la jeune femme au service du vieil homme, seul témoin.

Une drôle de fille maigre comme une asperge, avec un nez pointu, un front de bique, toujours habillée en drapeau ou en arc-en-ciel. (2007-III : 782)

Surnommée Le Cacatoès ou La Perruche pour son élégance vestimentaire, La Princesse pour son attitude, Félicie n’est pas du tout disposée à collaborer avec la police et encore moins avec Maigret qui, selon elle, ne l’aime pas et la traite mal ! Revêche et agressive, elle sait aussi être maline quand il s’agit de semer les inspecteurs chargés de la filer. Les contacts sont tendus, surtout pour elle en fait, Maigret s’amusant avec tendresse de son attitude et de son caractère romanesque.

Pourtant ce n’est qu’une femme… Un enfant-femme !... Voilà ce que Maigret a compris, voilà pourquoi il lui parle désormais avec douceur, avec une indulgence affectueuse. (2007-III : 806)

Leur relation reste toutefois assez trouble et même ambigüe jusqu’à la fin du roman, quand, enfin, elle s’apaise.

Un grognement. On savait bien que Maigret se mettait à grogner comme un ours chaque fois qu’on lui rappelait Félicie, qui lui avait donné plus de fil à retordre que tous les « durs » envoyés au bagne par les soins du commissaire. (2007-III : 752)

Etude de caractères, Félicie est là reste un roman policier dans lequel les péripéties ne manquent pas, la filature manquée de Félicie dans le métro ou la tentative d’assassinat du neveu de Lapie par exemple. Surtout, il y a l'extraordinaire chapitre 7, étrangement nommé La nuit du homard, dans lequel Simenon alterne deux scènes dans un montage cinématographique le cinéma et que l’utilisation du présent rend particulièrement vivantes : Maigret dans le pavillon de Lapie en train de déguster un homard que Félicie vient de faire cuire pendant que ses inspecteurs et leurs collègues participent à un vaste coup de filet dans le milieu de Pigalle.

Ce n’est pas toujours si terrible qu’on l’imagine… Ainsi il arrive qu’on fasse une enquête en mangeant un homard en compagnie d’une certaine Félicie et qu’on passe ensuite la nuit auprès d’elle. (1007-III : 832)

Un coup de sifflet strident, place Pigalle. C’est le signal, toutes les issues sont fermées. Les agents en uniforme marchent de front, attrapent au vol hommes ou femmes qui jaillissent de partout et qui tentent de franchir le barrage. Un sergent de ville se fait mordre cruellement le doigt par une grosse rousse en robe de mariée. Les paniers à salade se remplissent. (2007-III : 838)

C’est un Maigret très humain qui est décrit dans Félicie est là. Proche des vivants, il parvient à apprivoiser Félicie et même à gagner sa considération. Compatissant avec les victimes, il s’identifie à tel point à elles qu’il « devient » Jules Lapie, quand par exemple il se coiffe de son chapeau de paille ou bien se sert un verre de rosé au tonneau. Un moment de calme, loin du travail de sa brigade, et comme une préfiguration de ce que sera sa vie dans sa maison de Meung-sur-Loire.

Georges Simenon, Félicie est là © Paris, Gallimard 1944 et Omnibus, 2007.

1. Le lotissement est comparé à un jouet, ce que rappelle le titre de la traduction anglaise : Maigret and the Toy Village. Les quartiers nouvellement créés en périphérie des villes semblent fasciner Simenon. Outre Félicie est là (« Un jardin de petit rentier soigneux, une maison comme des milliers de besogneux rêvent d’en construire pour abriter leurs vieux jours. » 2007-III : 757), on retrouve une atmosphère similaire dans Monsieur Gallet, décédé (« Le lotissement n’était pas autre chose qu’une vaste forêt qui avait dû faire partie d’un domaine seigneurial. (…) Sur une baraque en planches, on lisait : Bureau de vente des terrains. Et à côté figurait un plan où ces allées désertes avaient déjà des noms d’hommes politiques et de généraux. » 2007-I : 240) et dans Maigret et l’homme du banc (« Rue des Chênes…Rue des Lilas… Rue des Hêtres… Peut-être un jour cela aurait-il l’air d’un parc, si toutes ces maisons mal bâties, qui ressemblaient à un jeu de construction, ne se désagrégeaient pas avant que les arbres aient atteint une grandeur normale. » 2007-V : 856). Un personnage d’un des meilleurs romans durs, Les inconnus dans la maison, vit aussi dans un de ces lotissements : « Une rue neuve, dans un quartier neuf, près du cimetière, avec de petites maisons propres pour petites gens. » (Folio, 1996 : 79).

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Tag(s) : #1942, #Gallimard, #Banlieue, #Paris, #Gangsters et milieu
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