La moitié des dix nouvelles répertoriées ci-dessous, écrites en 1938, relatent des enquêtes de Maigret dans le cadre de ses fonctions et les cinq autres des investigation menées à titre personnel alors qu'il profite de sa retraite à Meung-sur-Loire. Dans ce dernier cas, même s'il se montre contrarié d'avoir été sollicité, que ce soit pour accèder à la demande de la nièce d'un ancien collaborateurs (Mademoiselle Berthe et son amant) ou par simple curiosité dans Tempête sur la Manche ou Ceux du Grand Café, on le sent vite nostalgique des années passée à la P.J. et heureux de reprendre le métier.
… sa précipitation à se rendre à ce rendez-vous était la preuve qu'il n'était pas si heureux dans son jardin qu'il voulait le faire croire et que, comme un débutant, il s'emballait sur le premier mystère venu. (2007-X : 130)
Ecrites en mars 1938 à Porquerolles, L’Amoureux de Mme Maigret, La vieille Dame de Bayeux, L’Auberge aux noyés, Stan-le-tueur, L’Étoile du Nord, Tempête sur la Manche, Mademoiselle Berthe et son amant et Le Notaire de Châteauneuf sont parues dans Police-film/Police-roman, des fascicules hebdomadaires de 16 pages au format 26,5 x 17,5 cm. Ceux du Grand café et L’improbable M. Owen, font également partie de cette série, mais n'ont pas été retenues dans l'édition Gallimard de 1944.
Mademoiselle Berthe et son amant
Maigret, à la retraite à Meung-sur-Loire, reçoit une lettre d'appel au secours d'une jeune femme vivant à Paris : intrigué, il se rend au domicile de Mlle Berthe, à Montmartre. Celle-ci lui raconte qu'elle se sent menacée de mort par son amant, qui a participé à un cambriolage au cours duquel un policier a été tué…
C’est un Maigret grognon qui commence une recherche qui n’a rien d’officielle, un peu vexé de s’être laissé convaincre si facilement par une jeune femme qui se recommande d’un ancien collègue. Pourtant, il suit l’affaire, « tire son plan » comme il dit. Est-il intrigué par ce que lui raconte Mlle Berthe, ou n’est-il pas fâché de la promiscuité avec la jeune couturière au chapeau coquin et aux formes appétissantes ? L'’empathie l’emportera, une fois les faits éclaircis, il laissera l’amour triompher de la justice et le destin faire le reste.
Cette histoire peu crédible est placée sous le signe de la nostalgie pour Maigret, qui sans trop se l’avouer, s’ennuie un peu au bord de la Loire. La nostalgie des lieux familiers en particulier, Paris, Montmartre et ses immeubles sans ascenseur, un bistrot et sa terrasse ensoleillée, un comptoir où l’on joue aux dés. L’ancien commissaire y retrouve des personnages familiers du Paris populaire : la petite couturière en chambre, une concierge, des petits voyous… Et aussi la nostalgie des années passées au quai des Orfèvres, où il fera un bref passage incognito.
Et autour de Maigret, c’était comme une quintessence de ce petit monde de Montmartre, qui travaille bravement, en se contentant de menues joies. (2008-X : 136)
Tempête sur la Manche
Les Maigret sont bloqués à Dieppe par une tempête qui rend impossible toute traversée vers l’Angleterre. Alors qu’ils prennent leur mal en patience dans une pension de la ville, Jeanne Fénard, la jeune femme qui y travaille comme servante, est abattue dans la rue. Pendant que la police suit l’affaire, Maigret, en retraite depuis quelques mois, ne peut s’empêcher de mener sa propre enquête…
Est-ce parce que des voyageurs sont bloqués dans une pension de famille à Dieppe (une vile évoquée dans Pietr le Letton) par une tempête qui empêche les navires de prendre la mer, que cette nouvelle a un petit côté Agatha Christie ? D'abord du fait de l'espace clos qu’est la pension, avec des protagonistes que rien en apparence ne rapproche. Et malgré le format court du récit, la description de la maison tenue par Mlle Otard et de ses pensionnaires est précise : comme Balzac avec la pension Vauquer dans Le père Goriot, Simenon pose le décor et introduit les protagonistes avant de lever le rideau avec l’assassinat de la servante. Comme chez Christie, on découvre le moment venu que ces personnages très différents, la patronne et sa servante, un couple en voyage de noce, une femme en convalescence, sont liés par un élément commun qui aide à comprendre ce qui s’est passé. Une communauté de destins en quelques sorte.
On retrouve aussi dans Tempête sur la Manche un binôme familier du whodunit, le commissaire de police en charge de l’enquête et un détective perspicace, dans le cas présent un Maigret à la retraite depuis trois mois. Une cohabitation plutôt harmonieuse entre celui-ci, qui ne veut se mêler de rien mais furette partout, et un policier assez sûr de lui qui, tel un Hercule Poirot, ne ménage pas ses effets pour annoncer la confrontation finale :
Vous parlez des gens qui sont dans la salle à manger ?
J’ai tenu, en effet, à les réunir dans une pièce et à les empêcher d’aller et venir…Je vais vous annoncer une nouvelle qui va peut-être vous surprendre : le meurtrier ou la meurtrière de la fille Jeanne Fénard est parmi eux ! (2008-X : 185)
Maigret reste ici fidèle à ses habitudes, il tisonne les poêles de la maison, bougonne à plaisir, force un peu sur les grogs… avec toujours cet air de ne pas y toucher. L'environnement de la pension Otard lui fait aussi se remémorer des lieux familiers, son bureau du quai des Orfèvres par exemple, avec son poêle et sa pendule sur la cheminée. Et c'est enfin un homme heureux de s’évader quelques instants et de retrouver des endroits qu'il affectionne, un café, une brasserie et même un bal musette.
Le notaire de Châteauneuf
Maigret, à la retraite dans sa maison de Meung-sur-Loire, est interrompu dans ses activités de jardinage par la visite d'un notaire, venu lui demander son aide. L'homme est amateur d'ivoires gravés, et depuis quelques semaines, des pièces de sa collection disparaissent de façon mystérieuse…
Comme dans Mademoiselle Berthe et son amant, Maigret se fait un peu forcer la main pour aider le notaire de Châteauneuf, qui a constaté la disparition d’objets précieux – des pièces rares en ivoire – de sa collection. Mais qui pourrait être soupçonné dans cette belle maison où règne « une telle volonté d’harmonie dans les moindres détails »et qui respire la sérénité et le bonheur familial? N’est-ce pas justement parce que tout y est calme et équilibre que ces larcins prennent une telle importance :
Et justement c’était troublant à force de perfection ! Au point que Maigret avait l’impression de s’enfoncer insensiblement dans un monde trop parfait, trop heureux, où il n’y avait pas de place pour les petites et les grandes saletés de la vie dont il s’était occupé pendant plus de trente ans
C’est alors qu’il comprit, qu’il tressaillit soudain comme si là, dans ce décor de douceur et de paix, il avait aperçu une chose vilaine et répugnante, un scorpion, par exemple, ou un reptile.
Quelqu’un avait volé ! (2008-X : 208)
La résolution de l’affaire, une histoire de famille, ne sera pas difficile et Maigret retrouvera le soir même Mme Maigret à Meung-sur-Loire, encore tout imprégné de l’ambiance de la maison du notaire et de ses cailloux si blancs dans le jardin.
L'improbable Monsieur Owen
Maigret passe ses vacances sur la Côte d'Azur, dans un palace de Cannes, invité par le portier, M. Louis, une vieille connaissance. Bien que décidé à profiter du soleil méditerranéen, il va toutefois mener ses propres investigations lorsqu’on découvre un jeune homme noyé dans la baignoire de la chambre occupée par un Suédois en villégiature à Cannes et accompagné de son infirmière…
Simenon était fasciné par le monde des palaces et les habitués qui s’y côtoient, la haute société comme les aventurières et les escrocs et l’on sait que Maigret aime la Côte d’Azur. Mais cette histoire de faussaire et d’usurpation d’identité est peu convaincante. On peut quand même sourire au moyen que Maigret utilise, se faire passer pour un maître-chanteur prêt à monnayer son silence contre la remise d’une pièce compromettante… qu’il n’a pas. Une autre version de Maigret tend un piège !
Mais on s’amuse de la transformation d’un Maigret urbain en estivant – pendant que Mme Maigret veille sur l’une de ses nombreuses tantes – un jeune retraité plutôt satisfait de sa nouvelle condition qui paresse sous le soleil méditerranéen et a même renouvelé sa garde-robe :
Maigret faisait la sieste, comme un pacha. Sur une chaise, il y avait son pantalon de flanelle blanche et, aux pieds de celle-ci, des souliers blanc et rouge du plus heureux effet. (2008-X : 236)
Bref un homme en vacances :
Maigret était heureux ! Il avait mangé comme quatre, bu comme six, aspiré le soleil par tous les pores comme cinquante candidates à un concours de maillots de bain. (2008-X : 236)
Ceux du Grand Café
Un peu désœuvré après trois ans de retraite à Meung-sur-Loire, Maigret, pour occuper une partie de ses journées, prend l'habitude de jouer aux cartes avec les habitués du Grand Café. Une vie paisible jusqu'au jour où un drame bouleverse la petite ville : le boucher, un de ses partenaires de belote, est retrouvé au volant de sa camionnette, une balle dans la poitrine…
Maigret ne joue pas souvent aux cartes mais il aime regarder les joueurs de manille ou de belote – il ne ne comprend rien au bridge, comme il le reconnait dans Les vacances de Maigret – tout en buvant en verre au café du coin, surtout en province. Dans Ceux du grand café, c’est pourtant à la table des habitués du principal établissement de Meung-sur-Loire, « le lieu de réunion sélect de notre ville » qu’on le retrouve. L’occasion pour Simenon, dans le premier chapitre, de brosser un tableau réaliste des notables locaux – le maire également vétérinaire, le maréchal-ferrant, le boucher – et de leurs habitudes. Une évocation des mois qui passent également, que rythment les boissons consommées par les joueurs.
La mort violente du boucher est le point de départ de ce que le commissaire retraité appelle un drame. Un événement dont Maigret va immédiatement percevoir la sinistre réalité mais dont il refuse de parler à quiconque, peut-être par honnêteté morale. Même si cela lui vaut quelques inimitiés et même des tensions avec Mme Maigret, ce n’est que trois ans plus tard qu’il livre son analyse à son épouse, démontrant qu’il n’a rien perdu de son intuition.
Imbécile !... Je savais bien que tu ne comprendrais pas… Je te parle d’envoûtement…Eh bien ! C’en est un aussi… Une manie si tu préfères, un besoin qu’on se crée quand on n’a rien d’autre à faire…
C’était la première fois qu’il risquait une allusion à se retraite, mais ce n’était pas la première fois que Mme Maigret y pensait. (2008-X : 289)
Ceux du Grand Café, dont l'action se déroule entièrement à Meung-sur-Loire, est un texte fort sur l’ennui que l’on ressent dans les petites villes, celui de la routine quotidienne pour les habitués de la partie de manille ou celui du manque de responsabilités pour le commissaire à la retraite. Un ennui qui amène les individus à rêver un peu trop fort et à prendre des décisions d’autant plus tragiques qu’elles sont dérisoires.
L’étoile du Nord
Le commissaire range ses affaires en prévision de son imminent départ à la retraite quand il « intercepte » au petit matin un appel de police-secours. Il n’en faut pas plus pour qu’il se rende sur les lieux – on ne disait pas encore la scène de crime –, un hôtel de seconde zone près de la gare du Nord (dont le nom est celui du train reliant Amsterdam à Paris dans lequel commence l’enquête de Pietr le Letton) dans lequel un représentant de commerce a été tué d'un coup de couteau...
Alors que ses collègues recueillent les témoignages, Maigret arrête Céline, une jeune fille pressée d’aller prendre son train, et découvre qu’elle a quitté précipitamment la chambre qu’occupait la victime, Georges Bompard. Il va s’ensuivre un interrogatoire difficile, Céline cachant mal derrière son arrogance et sa rébellion la panique qu’elle ressent devant une situation qui lui échappe.
Face à une « cliente » difficile et contre laquelle il ne peut pas grand-chose, Maigret est comme un père face à sa fille adolescente en pleine crise : désemparé, vite agressif, il tourne en rond, s’obstine à chercher à savoir à tout prix qui est réellement Céline. C’est un coup de téléphone de Mme Maigret, occupée à régler les derniers aménagements de leur maison de Meung-sur-Loire, qui l’éloigne de « l’atmosphère tendue, crispée, malsaine de son bureau où, depuis des heures et des heures, se poursuivait une lutte épuisante. » et le ramène à la réalité : si la jeune fille n’a pas pu tuer Bompard, il faut chercher dans le passé des résidents de L’étoile du Nord qui avait une raison de lui en vouloir.
Abordant discrètement la question du détournement de mineure, Simenon dresse le portrait d’une jeune fille romanesque en rupture avec sa famille et aveuglée par les belles paroles d’un homme sans scrupules. Sans solution devant la personnalité affirmée de Céline, tout d’abord brutal dans son attitude et ses réactions, Maigret parvient à la ramener à la raison. Un peu comme pour la fille qu’il n’aurait pas eue ou n’aurait pas vu grandir…
L’auberge aux noyés
Alors que Maigret est en mission en province, un événement curieux l’amène à se mêler à une enquête de la gendarmerie : sur la route qui relie Nemours à Montargis, non loin de l'hôtel-restaurant L'Auberge aux Noyés, un camion a heurté une voiture qui a été précipitée dans le Loing. Lorsqu'on retire le véhicule de la rivière, on ne trouve pas trace d’occupants, mais dans le coffre est dissimulé le cadavre d’une femme, la gorge tranchée…
L’auberge aux noyés est une des meilleures nouvelles de la série : elle est bien structurée et l’intrigue, une mise en scène improvisée mais machiavélique, est tout à fait plausible. La « méthode Maigret », cette « activité décousue » qui déconcerte ceux qui ignorent sa façon de procéder, fait merveille : le commissaire furète, observe sans grand souci de logique, jusqu’à ce que les éléments épars soient rassemblés et que l’affaire soit expliquée dans une reconstitution implacable. Et c’est Maigret tel que nous le connaissons qui est ici à l’œuvre : celui des mauvais jours, maussade et bougon, « les mains dans les poches de son pardessus, le chapeau melon transformé en réservoir d'eau » qui va se progressivement devenir un homme plus calme, plus confiant dans sa déduction qui ira jusqu’à déclarer : « La vie est belle ! »
On retrouve dans L’auberge aux noyés nombre d’éléments qui sont autant de repères dans la vie et la carrière de Maigret : la rivière près d’un canal avec sa péniche et son marinier, l’auberge au bord de la Nationale 7, accueillante aux touristes et aux amoureux, la pluie froide qui accompagne tant d’enquêtes. Les références gastronomiques ne manquent pas : L’auberge aux noyés dont la table n’est pas fameuse mais où un journaliste a découvert un vouvray formidable, L’hôtel de la Cloche, à Montargis, à la cuisine beaucoup plus intéressante, le caboulot dans lequel Maigret se régale d’un fricandeau à l’oseille après avoir dû se contenter de bière et de sandwiches au jambon… Quant aux personnages, tout oppose le respectable notaire de Versailles et le jeune homme « dévoyé » dans les bras duquel est tombée une jeune fille de bonne famille romanesque et exaltée (cf. la nouvelle précédente, L’étoile du Nord). Sans oublier les « seconds rôles », chauffeur routier, pompiste, journalistes et badauds, qui contribuent à rendre si vivants les nouvelles et les romans écrits par Simenon.
Stan le tueur
L’affaire des tueurs du Nord, que l'on retrouve dans trois romans et deux nouvelles, apparaît pour la première fois dans Stan le tueur. Il ne faut toutefois pas y voir une histoire à épisodes mais plutôt des variations sur un même thème, celui de bandits, des Polonais ou des Tchèques selon les textes, qui attaquent des fermes isolées du nord de la France et dévalisent leurs occupants après les avoir torturés et assassinés.
L'enquête n’est décrite dans sa totalité que dans cette nouvelle, depuis la mise en place de la planque jusqu’à l’élimination de la bande, et dans Maigret et son mort où l’assassinat d’un garçon de café permet de remonter aux crimes des « tueurs de Picardie ». Il est simplement fait allusion à des planques de Maigret et de ses inspecteurs devant un hôtel de la rue de Birague dans Cécile est morte (1940) et dans Maigret et l’inspecteur malgracieux (1946). Le commissaire évoque aussi cette affaire dans Les mémoires de Maigret (1950).
De Stan le tueur, on retient surtout la précision avec laquelle Simenon décrit l’opération devant l’hôtel Beauséjour, un établissement miteux d'une rue du Marais (qui n'était pas encore avant-guerre le quartier gentrifié qu'il est aujourd’hui) et le rôle de chacun des participants. La nouvelle vaut également pour le personnage d’Ozep, extravaguant mais fragile, assez complexe pour que Maigret peine à trouver la clé de l’énigme.
La nouvelle est parue en 1942 avec Mademoiselle Berthe et son amant dans un volume intitulé Les silences de Maigret.
La vieille dame de Bayeux
Maigret a été envoyé à Caen pour réorganiser la brigade mobile. A la demande d’un magistrat, il reçoit Cécile Ledru, une jeune femme de vingt-huit ans qui lui fait part de ses doutes sur les circonstances de la mort de Joséphine Croizier, une riche veuve de soixante-huit ans, dont elle était la demoiselle de compagnie...
Maigret renoue avec une ville qu’il connaît depuis Le port des brumes, et la haute bourgeoisie qui abrite sa respectabilité derrière les façades de ces « graves hôtels particuliers qu'on ne trouve plus qu'en province ». Comme dans La maison du juge ou Le fou de Bergerac, il retrouve un milieu opulent et influent, protégé en haut lieu, mais qui cache ses secrets. Un milieu qu’il tient en horreur mais, dans lequel il évolue étrangement avec aisance et même une certaine délectation. Comme si le gros chat qu’il aime à être se réjouissait par avance de venir à bout des rats qui s’agitent autour de lui. Comparaison certes osée mais qui reflète l’image que le commissaire à du coupable, une « crapule intégrale ».
La vieille dame de Bayeux est une histoire sordide, dans laquelle la sauvegarde des apparences et la cupidité mènent au crime. Un crime si complexe dans sa préparation et sa réalisation qu’il aurait pu être parfait. La nouvelle demande donc une double lecture : la résolution d’une énigme dans la tradition du whodunnit, résolue par un Maigret tout en finesse, et la peinture d’un milieu provincial à la respectabilité de façade, qui ne peut cacher son amertume quand le coupable, l’un des siens, est confondu et arrêté.
L’amoureux de Madame Maigret
Les Maigret ont provisoirement quitté le boulevard Richard-Lenoir pour la place des Vosges. Nous sommes en juin, il fait chaud, les fenêtres sont grandes ouvertes et Mme Maigret vaque à ses occupations tout en étant attentive à ce qui se passe dans le square en bas de l’immeuble. C’est elle qui va remarquer plusieurs jours de suite l'homme élégant au chapeau gris perle et à la canne à pommeau sculpté assis sur un banc. Maigret la plaisante sur son « amoureux », mais, un soir, voyant que celui-ci ne bouge pas alors que le square va fermer, il descend et constate que l’inconnu est mort...
Mme Maigret prend ici une grande place, puisque, de simple témoin – « Je te prie que remarquer que je t’interroge dans l’exercice de mes fonctions… » – elle va en arriver à mener sa propre enquête parallèlement à celle du commissaire. Il manifeste d'ailleurs de l'irritation à la voir empiéter sur son territoire –- « Ce n’est pas parce que tu as presque failli avoir du flair qu’il faut commencer à me donner des conseils ! » – et à parvenir pratiquement aux mêmes conclusions que lui.
On retrouve dans L’amoureux de Madame Maigret tous les éléments d’une enquête menée par un policier et une équipe : inspecteurs occupés à récolter les témoignages de proximité, médecin légiste, spécialistes des empreintes, archivistes des sommiers… Quoique’en pensent certains, Simenon a été l’un des premiers à l’origine du roman de procédure policière. Mais c’est bien sûr Maigret qui est au centre des choses, impeccable dans ses interrogatoires, que ce soit celui de la concierge ou celui des principaux suspects. Il sortira toutefois de l’aventure doublement vexé, d’avoir été pour ainsi dire doublé par Mme Maigret et d’apprendre que l’affaire, qui ressort du bureau en charge du contre-espionnage, lui est finalement retirée.
Georges Simenon, Les nouvelles enquêtes de Maigret © Paris Gallimard 1944 et Omnibus, 2008.