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Ecrit en Vendée en 1943 et publié l’année suivante dans Signé Picpus (avec Félicie et là, Signé Picpus et des Nouvelles exotiques), L’inspecteur cadavre est un bon exemple des scènes simenoniennes de la vie de province. Dans une petite ville fermée et méfiante, Maigret enquête sur la mort mystérieuse d’un jeune homme, Albert Retaillau, comptable dans une entreprise locale et dont le corps déchiqueté a été retrouvé sur la voie ferrée. Venu à Saint- Aubin à titre officieux suite à des  arrangements entre amis de la bonne société de province, il est confronté, comme dans La maison du juge, à la petite bourgeoisie locale, représentée ici par Etienne Naud, un riche éleveur, qui, selon la rumeur populaire, serait impliqué dans la mort de Retaillau. Hébergé chez les Naud, il découvre une famille repliée sur elle-même :  

On sentait que dans cette maison, les meubles et les choses étaient à leur place depuis des générations et que les gens eux-mêmes, dans leurs allées et venues, obéissaient à des rites précis qui défiaient l’imprévu (2007-III : 858)

C’est aussi une société craintive, finalement assez médiocre, qui ne s’appuie que sur l’esprit vde clan et sur l’argent pour régler les problèmes et acheter le silence :

Je ne sais pas comment vous expliquer, moi… Ils se tiennent entre eux… Ils sont riches… Ils sont parents ou amis avec des préfets, des généraux, des juges…Je ne sais pas si vous comprenez cde que je veux dire… Alors les gens ont peur… Il leur arrive bien de bavarder le soir, quand ils ont bu un coup de trop. Mais le lendemain ils le regrettent. (2007-III : 899-900)

Simenon excelle ici à décrire l’ambiance d’une petite ville française (comme Balzac, bien sûr, mais aussi Jouhandeau ou, au cinéma, Chabrol) à l’atmosphère étouffante que renforcent l’humidité et le brouillard enveloppant le marais poitevin. Une ville dominée par la bonne société locale, non exempte de quelques ratés de la vie, ces « êtres négatifs » que Maigret exècre :

Est-ce qu’ils essayaient de l’endormir ? L’idée était ridicule. De braves gens. Rien d’autre. Le juge, à Paris, avait dû exagérer la cause. Et Alban Groult-Cotelle n’était qu’un solennel imbécile, un de ces inutiles de demi-luxe comme on en rencontre dans toutes les provinces. (2007-III : 862)

A l’opposé, le monde des humbles, auquel appartenait la victime, veut connaître la vérité et dévoiler les petits et grands arrangements des nantis. Maigret, au milieu de ces deux mondes, se sent particulièrement mal à l’aise. D’abord parce qu’étant en mission officieuse, le brillant commissaire de la police judicaire qu'il est n’est pas reconnu et n’a aucun moyen d’agir. Ensuite parce qu'il doit faire face à un ancien collègue déchu devenu détective privé, Julien Cavre, surnommé l’inspecteur Cadavre, un homme chez qui il y a « du gris, du verdâtre, de la poussière morale et matérielle ». Sa présence est source d’une forte rivalité entre les deux hommes (le titre de l’édition anglaise, Maigret’s rival, la traduit) et Maigret a fort à faire pour garder la main. Enfin et surtout parce qu’il est « l’intrus, l’indésirable », « quelqu’un de pas sûr, venu on ne savait d’où, pour on ne savait quelle besogne. » (878). Cette méfiance s'installe progressivement dans tout le village y compris dans le clan Naud et le bloque dans son enquête, chacun se réfugiant dans le silence ou ne lui répondant que du bout des lèvres, ce qui donne des conversations cocasses tournant au dialogue de sourds avec l’employé de la mairie, Alban Groult-Cotelle et le médecin du village.

Maigret comprend vite ce qui s’est passé la nuit de la mort de Retaillau et découvre d’autres éléments de l’affaire qu’il révèle à Naud et à sa famille. Mais, faute de preuves, sa « mission » s’arrête là et il ne peut que laisser les responsables face à leur conscience. L’impossibilité qu’il a de mener l’enquête jusqu’à sa conclusion logique l’amène, comme dans Le fou de Bergerac, à ressentir un profond dégoût devant un monde lié par la conspiration du silence pour protéger sa respectabilité de façade, un monde où, finalement, un accord est toujours possible :

Il y a une expression qui me parait la plus hideuse de tout le vocabulaire mondain ou populaire, une expression que me fait sursauter et grincer des dents chaque fois que je l’entends… Savez-vous ce que c’est ?

Non.

Tout s’arrange !

Le train arrivait. Et, dans le vacarme grandissant, Maigret criait :

Or, vous verrez que tout s’arrangera. (2007-III : 963-964)

L’inspecteur cadavre marque la fin de la collaboration de Simenon avec Gallimard. Les cinquante romans qu’il écrit ensuite, de Maigret se fâche à Maigret et Monsieur Charles sont publiés par les Presses de la Cité. Tous mentionnent le nom de Maigret dans le titre.

Georges Simenon, L’inspecteur cadavre © Paris, Gallimard, 1943 et Omnibus, 2007.

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Tag(s) : #Gallimard, #Scènes de la vie de province, #1943, #Vendée et Charentes
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