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Maigret a peur, après La maison du juge, L’inspecteur Cadavre et Les vacances de Maigret, conduit à nouveau le commissaire en Vendée. De passage à Fontenay-le-Comte chez son ami le juge Chabot après avoir participé à un congrès de police à Bordeaux, il apprend que deux meurtres que rien ne semble relier, celui de Robert de Courçon, un aristocrate désargenté, et celui d’une vieille sage-femme impotente, mettent la ville en émoi. Emoi qui tourne à la terreur lorsqu’un vieux chiffonnier porté sur la bouteille est à son tour tué d’un coup violent à la tête.

Sans mandat officiel, Maigret ne se mêle pas de l'enquête, ce qui ne l’empêche pas d’observer avec attention les passants ou les consommateurs des cafés de la ville comme les joueurs de bridge réunis chez les Courçon. Les questions qu’il pose et certaines de ses initiatives font vite bouger les choses jusqu'à un dernier événement tragique. Maigret en reste là et ce n’est que quelques jours plus tard que, rentré à Paris, une lettre de Chabot lui fournit la fin de l’histoire.

Comme souvent dans ces « scènes de la vie de province », Maigret a peur a pour toile de fond l’affrontement entre deux milieux sociaux, les notables, personnifiés par les Courçon, nobliaux désargentés mais très attachés à leur rang, et une opinion publique excédée rassemblée autour de Chalus, l’instituteur, instigateur d’un « comité de vigilance » et aussi témoin capital. C’est cette opposition qui frappe d’emblée le commissaire :

Le plus petit des deux groupes, celui qui se tenait près du cadavre, paraissait ne se composer que de gens qui se connaissaient, qui appartenaient à un milieu déterminé : le juge, les deux médecins, les hommes qui, sans doute, jouaient tout à l’heure au bridge avec le docteur Jussieux et qui tous devaient être les notables de l’endroit.

L’autre groupe, moins en lumière, ne gardait pas le même silence. Sans manifester à proprement parler, il laissait sourde une certaine hostilité. Il y eut même deux ou trois ricanements. (2007-VI : 25)

Fontenay-le-Comte.

L’hostilité est totale, tous se  méfient de tous, s’observent, dans le salon des Courçon comme derrière les vitres du café. Car tout le monde a peur, les habitants terrorisés par les meurtres et les notables que l’on accuse et qui tiennent à préserver leur réputation. Cette peur, exacerbée par le mépris d’une partie des habitants de la ville pour les nantis, reflète une société divisée socialement mais aussi politiquement, l’instituteur étant présenté comme un agitateur « de gauche », habitué des manifestations et de la prison.

Cette hostilité ne met pas le commissaire à l’aise et il est soupçonné par Chalus de protéger ses « pareils » et de renier son attachement aux gens modestes, un milieu dont il est issu : « Pourquoi m’as-tu trahi, toi qui n’es pas de leur bord ? ». C’est là que réside la peur de Maigret : d’une part il craint que sa présence ne soit mal interprétée et, surtout, que tout dérape par la faute de ceux – procureur, juge, policiers – qui font du zèle dans la servilité ou ont tout bonnement du mal à trouver leur place. Car dans ce microcosme qu’est Fontenay-le-Comte, tous sont en porte-à-faux – la famille Courçon a honte d’avoir redoré son blason grâce à un mariage avec le fils d’un marchand de bestiaux enrichi ; le fils Courçon n’exerce pas la médecine mais se livre à des recherches psychiatriques assez vagues ; Chabot est pris entre son devoir de juge et les mondanités locales – ou ont renié leurs origines sociales, comme le commissaire de Fontenay, sorti lui-même du « bas peuple », qui s’en prend à « une de ses pareilles » ou le maître d’hôtel des Courçon qui donne l’impression « d’être le fils de métayer qui n’a pas voulu cultiver la terre et qui entretient autant de haine pour les gens riches qu’il voue de épris aux paysans dont il est sorti. »

Maigret a peur est tout à la fois un des rares Maigret dans lequel il est question ouvertement de politique et de lutte des classes, un roman sur le déclassement d’une petite aristocratie de province obligée de s’allier avec de riches roturiers, ainsi que sur les transfuges de classe que sont certains. C’est aussi une réflexion sur l’évolution du commissaire, sur son refus presque obsessionnel d’évoquer son passé (sauf avec ceux qui sont de son milieu, comme dans Maigret chez le ministre, un autre roman où la politique est présente) et de revenir sur ses amitiés de jeunesse. D’ailleurs, sa relation avec Chabot survivra-t-elle à l’affaire ? Trois assassinats et un suicide pour rien, un monde qui change et un commissaire vieillissant et désabusé font de Maigret a peur un des romans les plus sombres de la série.

Georges Simenon, Maigret a peur © Presses de la Cité, 1953 et Omnibus, 2007.

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Tag(s) : #1953, #Vendée et Charentes, #Scènes de la vie de province, #Presses de la Cité
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