L'enquête menée par le commissaire dans Maigret se trompe se fonde essentiellement sur les entretiens qu'il a avec les personnes plus ou moins directement liées à l’affaire du crime du boulevard Carnot : une femme de ménage ; la concierge de l'immeuble ; Etienne Gouin, le grand médecin qui entretenait Louise, dite Lulu, la jeune femme assassinée ; son épouse et la sœur de celle-ci ; son assistante. Sans oublier l’amant de cœur de Lulu, musicien de cabaret et ancien souteneur, coupable idéal. L’originalité du roman tient à ce que Maigret se concentre essentiellement sur l'entourage du chirurgien – « Ce qu’il savait de Gouin, il l’avait appris des paroles et des attitudes de cinq femmes différentes. » –, réservant leur rencontre, émotionnellement très forte, pour la dernière partie du roman.
Celle-ci donne lieu à un échange passionnant entre deux hommes secrets, issus de milieux sociaux semblables, et qui se sont faits tout seul : « Comme le professeur, Maigret était né dans un petit village du centre de la France, et comme lui, il avait été de bonne heure livré à lui-même. » Si les deux hommes, qui ont « une connaissance à peu près égale des hommes et de la vie », se comprennent, leur regard sur les êtres est à l’opposé, l'absence d'empathie de Gouin pour ses semblables ne pouvant rivaliser avec l'attitude d'un Maigret cherchant toujours à les comprendre, à se mettre à leur place. Murielle Wenger peut ainsi écrire que « le personnage du professeur Gouin et un double négatif de Maigret. »
Ce que le professeur avait dit depuis le début, Maigret le pensait, au fond. Leurs idées sur les hommes et leurs motifs n’étaient pas tellement différents.
Ce qui était différent, c’était leur attitude en face du problème.
Gouin ne se servait que de ce que Maigret avait appelé sa raison froide. Le commissaire, lui, essayait…
Il aurait été en peine de définir ce qu’il essayait. Peut-être, de comprendre les gens, lui donnait-il un sentiment qui n’était pas seulement de la pitié, mais une sorte d’affection.
Gouin regardait d’en haut.
Maigret se mettait au même plan qu’eux. » (2007-V :241-242)
Quant aux femmes qui constituent le premier cercle des relations d’Etienne Gouin, leurs réponses aux questions de Maigret lui permettent de se faire peu à peu une idée de la personnalité du professeur. Que ce soit l’épouse délaissée dont la rancœur est attisée par sa sœur aigrie, ou l’assistante dévouée prête au parjure pour défendre son idole, elles contribuent à dresser le portrait d’un homme cynique et désabusé pour qui les relations avec les femmes ne peuvent être que furtives et dépourvues de tout sentiment.
– Vous l’aimiez ?
– Non.
– Pourquoi l’avez-vous épousée ?
– Pour avoir quelqu’un dans la maison. La vieille femme qui s’occupait de moi n’en avait plus pour longtemps à vivre. Je n’aime pas être seul, monsieur Maigret. Je ne sais pas si vous connaissez ce sentiment-là ? » (2007-VI : 260)
Maigret se trompe se révèle être surtout une étude psychologique fouillée – l’intrigue et sa résolution n’ont finalement qu’une importance relative, plusieurs des protagonistes ayant de bonnes raisons de tuer Louise – ce qui fait que nous sommes ici plus proche d'un « roman dur » de Simenon que du roman policier.
Georges Simenon, Maigret se trompe, © Paris, Presses de la Cité, 1953 et Omnibus, 2007.