Plusieurs romans de Georges Simenon ont pour cadre des villes de province, souvent situées sur la côte atlantique. Dans Maigret à l’école, le commissaire enquête à titre officieux, en liaison avec un lieutenant de gendarmerie, dans un village de Charente-Maritime, Saint-André-sur-Mer (inspiré de Marsilly, où Simenon a souvent séjourné). L’atmosphère est pesante : tous les habitants se connaissent, sont plus ou moins parents et se méfient des étrangers, surtout quand ils n’entrent pas dans leur jeu ou dans leurs intérêts. Alors, quitte à désigner un coupable, autant que ce soit « celui qui n’est pas d’ici ».
Léonie, la vieille commère du village, ancienne receveuse des postes peu regardante sur l’éthique professionnelle, détestée de tous, est retrouvée tuée d’une balle de carabine de calibre 22, arme surtout utilisée par les gamins du village pour tirer les moineaux. Sur le témoignage d’un de ses élèves, l’instituteur, Joseph Gastin, qui n’est pas du village, est soupçonné. Sur le point d’être arrêté, il s’enfuit à Paris pour demander l’aide de Maigret :
Vous êtes né à la campagne, je l’ai lu dans un magazine. Vous y avez passé la plus grande partie de votre jeunesse. Vous savez donc comme cela se passe dans un petit bourg. Saint-André ne compte que trois cent vingt habitants. (2007-VI : 254)
Celui-ci le ramène à La Rochelle où il est placé sous mandat d'arrêt et incarcéré pour sa propre sécurité. Le commissaire peut alors commencer son enquête.
Maigret à l’école est une investigation à huis clos dans un environnement hostile. A part l’évocation de deux événements ayant eu lieu hors du village – un incident impliquant Mme Gastin à Courbevoie et le passé de Thérèse, la servante de l’auberge, que Maigret a connue à Paris où elle se prostituait – l'enquête est circonscrite à Saint-André et se concentre sur les entretiens et les interrogatoires des témoins : l’instituteur (au quai des Orfèvres avant qu’il ne soit incarcéré et n’apparaisse plus dans le roman) ; sa femme, flétrie et vieillie avant l'âge ; le lieutenant de gendarmerie chargé de l’enquête ; trois élèves de l’école ; l’aubergiste bavard ; le médecin qui l’est tout autant mais sait se taire quand il le faut ; l’adjoint au maire, dont le silence et le sourire narquois en disent long sur l’ambiance du village. Ce que résume le médecin :
A votre santé ! Ils vont tous essayer de vous mettre des bâtons dans les roues. Ne croyez rien de ce qu’ils vous diront, que ce soit les parents ou les enfants. Venez me trouver quand vous voudrez et je ferai l’impossible pour vous donner un coup de main. (2007-VI : 278)
Parmi ces protagonistes, les enfants jouent un rôle à part en tant que seuls témoins de l’événement : Jean-Paul Gastin, qui n’a pas de camarades parce qu’il est le fils du maître d’école ; le fils du ferblantier, Marcel, qui va se confesser chaque fois qu’il a dit un mensonge ; enfin le fils du boucher, Joseph, immobilisé dans sa chambre par une fracture. Si Maigret donne l’impression d’être mal à l’aise quand il commence à les interroger – ces gamins, en plus d'être assez menteurs, sont à leur manière des « témoins récalcitrants » – il parvient vite à se mettre à leur diapason pour les confesser. Ces tête-à-tête, mais aussi l’environnement – la classe et la cour de l’école, l’église, les boutiques pauvrement éclairées – vont faire remonter chez Maigret des souvenirs de sa propre enfance dans un village semblable, où le fils du régisseur du domaine était mal vu des enfants des métayers : « C’était à croire que les habitants des villages de France sont interchangeables. »
Une fois l’affaire résolue, Maigret fuit littéralement Saint-André et son atmosphère délétère pour retrouver Paris et ses lumières, Madame Maigret et leurs sorties au cinéma. Peut-être veut-il aussi échapper aux souvenirs de son enfance perdue. Car, au bout de le la nuit et du chemin de fer, c’est Paris qui importe pour lui, la ville où l’on peut être anonyme et où il peut exercer son métier loin du regard des autres. Et ces retrouvailles commencent symboliquement par l’achat à la gare de La Rochelle d’une « poignée de journaux de Paris ».
Maigret à l’école est un roman sombre sur la frustration : celle de l’instituteur, contraint de quitter la région parisienne suite à un scandale auquel a été mêlé sa femme, minée depuis par la tristesse et le remord ; celle du boucher, qui échoue dans toutes ses entreprises et sombre dans l'alcool et la maladie ; enfin celle de Marcel et de Jean-Paul, les bons élèves qui ne peuvent être amis parce que l’un est le fils du maître d’école. Même Maigret, arrivé au pays des parcs à huîtres et des bouchots à la saison de la morte-eau, sera frustré de ses envies de coquillages.
Georges Simenon, Maigret à l'école © Presses de la Cité, 1954 et Omnibus, 2007.