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Dès les premiers romans, Georges Simenon se plait à envoyer Maigret sur des lieux qu’il connaît bien pour y avoir séjourné : Sancerre (Monsieur Galet, décédé), Liège (Le pendu de Saint-Phollien) et ici Delfzijl1, au nord de la Hollande. Suite à la mort de Conrad Popinga, un ancien officier de marine, dans laquelle pourrait être impliqué Jean Duclos, un professeur français venu donner une conférence, le commissaire débarque dans cette ville portuaire de la Mer du Nord, parmi les marins et les enseignants de l’école navale. Il s’intéresse vite à l’entourage de Popinga où les suspects ne manquent pas : une épouse jalouse, une belle-sœur brillante mais sentimentalement frustrée, un amoureux transi, une jeune fille délurée et son père irascible…

Maigret s’imprègne de l’atmosphère de la ville et de la demeure des Popinga et, faute de pouvoir communiquer avec la plupart des témoins, se livre à une analyse minutieuse de la situation : il dessine des plans, prend des mesures, calcule les temps de parcours entre divers lieux. En ce sens, Un crime en Hollande répond aux règles du roman d’énigme : une liste des suspects au début de l'enquête, des indices, de fausses pistes, une mise en lumière progressive des événements et des motifs et même la reconstitution minutieuse des événements avant l’explication finale rassemblant tous les protagonistes sur les lieux du drame. Maigret montre ici ses talents d'observateur, comme on peut le constater dans le quatrième chapitre, « Les bois flottés d’Amsterdiep », dans lequel, sensible à tout ce qui l’entoure, les bruits comme les odeurs, il commence à saisir les personnalités de chacun et les camps en présence.

Car il y a deux camps dans cette histoire d’adultère et de jalousie qui a mené à la haine et au meurtre : « le port, les hommes en sabots, les bateaux, les voiles, l’odeur de goudron et d’eau salée… » et « les maison bien closes, aux meubles cirés, aux tapisseries sombres… » ; ceux qui ont voyagé et connu « des jonques pleines de femmes menues et jolies comme des bibelots d’étagère… » et les autres qui s’accommodent de l’atmosphère rigoriste qui règne sur une petite ville bourgeoise et bien-pensante – « Un même ciel d'une limpidité de rêve. Mais quelle frontière entre ces deux mondes ! »

Huitième enquête de Maigret, Un crime en Hollande contient tous les ingrédients qui font le succès de la série : un Maigret aux aguets, s’imprégnant de toutes les atmosphères, sondant les êtres et tentant de se mettre à leur place, comme il le démontre dans la reconstitution finale ; un Maigret bougon dont la vision de la société et des êtres qui la composent ne peut s'accommoder des silences des Popinga et des mensonges de ceux qui tentent de préserver à tout prix leur réputation, quitte à inventer une invraisemblable histoire de vengeance liée au passé de la victime. Car l’ordre des notables ne doit pas être troublé : « Pas de mauvais exemple donné par la bourgeoisie au peuple ! » D’où l’ironie cinglante du commissaire quand il s’adresse à Duclos ou à son collègue hollandais, consternants de certitudes et de suffisance ; une ironie qui tourne à la méchanceté pendant le déjeuner que le policier lui offre à l’auberge de la ville. Maigret ne sera pas cette fois-ci un « raccommodeur de destins » et laissera les choses aller jusqu’à leur conclusion sans se poser la question de savoir si toutes les vérités sont bonnes à dire. Lui, qui admet ici qu’il est venu « bousculer la porcelaine », ne fait preuve d’aucune pitié envers les protagonistes de cette histoire tragique, si ce n’est peut-être pour Popinga, dont l’uniforme de respectabilité protestante « craque à toutes les coutures », mais qui n’a pas eu la force de descendre la dernière marche qui le conduisait à l’aventure. Une sympathie semblable à celle que Maigret a pu avoir pour une autre victime dans Monsieur Galet, décédé.

1Simenon s’y est arrêté alors qu’il naviguait sur L’ostrogoth avec sa femme et sa maîtresse. Ce serait à Delfzijl qu’il aurait inventé le personnage de Maigret et écrit sa première enquête, Pietr le Letton.

Georges Simenon, Un crime en Hollande ©  Paris, Fayard, 1931 et Omnibus, 2007.

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Tag(s) : #1931, #Ports, #Hollande, #Scènes de la vie de province, #Fayard
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