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Après que l'effondrement d'un sanatorium dans les Alpes ait causé la mort de plus de cent enfants, la presse se déchaîne. Un expert n'avait-il pas conclu à des vices de construction dans un rapport qui pourrait mettre en cause le gouvernement, en particulier Auguste Point, le ministre des Travaux publics ? Or ce document a disparu et Point charge Maigret de le retrouver.

Maigret chez le ministre fait exception dans la série : pas de mort violente mais le vol d’un document compromettant pour la carrière d’un ministre. Dans ce roman qui traite ouvertement de politique, un sujet peu abordé par Simenon, Maigret, du moins au début de ses recherches, se retrouve plus dans le rôle d'un détective privé que d'un policier. Le choix de Point de demander comme une faveur au chef de la Brigade criminelle d’enquêter peut en effet surprendre. Certes, la discrétion du commissaire est légendaire et son objectivité totale. Quel lecteur assidu peut en effet dire qu’elles sont ses opinions politiques ? Mais nous verrons qu'il y a d'autres raisons, plus subjectives, à cette décision.

Maigret chez le ministre.
Paris - l'Assemblée nationale.

Le roman est aussi atypique en ce qu'il situe l'époque de l'action; en rappelant la carrière politique de Point, un avocat de La Roche-sur-Yon devenu député puis ministre quelques années après la fin de la seconde guerre mondiale. Les ennuis que  connait l'homme politique sont l’occasion pour Maigret de revenir sur une période où, pour avoir déplu en haut lieu, il a été exilé à Luçon, en Vendée – « Une fois dans sa vie, il s’était trouvé dans une situation similaire, encore que moins dramatique, et c’était venu aussi d’une affaire politique. » – où se situe l’enquête de La maison du juge.

Dans Maigret chez le ministre Simenon revient plusieurs fois sur la carrière et la personnalité du commissaire. Une personnalité assez proche de celle de Point. Ce sont les points communes entre les deux hommes qui expliquent aussi le choix du ministre : Maigret et Point se ressemblent physiquement comme le précise le début du roman – « Dans le bureau calme et chaud, ils étaient deux de même stature, à peu près du même âge, qui s’observaient sans essayer de se le cacher l’un à l’autre. » (2007-VI : 489) – et la dernière page : « Une fois encore, le commissaire eut l’impression d’avoir en face de lui quelqu’un qui lui ressemblait comme un frère. Tous les deux avaient le même regard lourd et triste, la même voussure des épaules. » (2007-VI : 608). Rien de surprenant quand on sait qu’ils partagent les mêmes origines plébéiennes et provinciales, l’Allier pour l’un, la Vendée pour l’autre, et que d’autres choses les rapprochent : le prénom de leur père, Evariste, et la disparition de leur mère alors qu’ils étaient très jeunes, le fait que tous les deux fument la pipe… Les deux hommes n’ont donc pas de mal à se comprendre et à se retrouver au niveau des souvenirs d’enfance. En revenant sur la période de Saint-Fiacre, Maigret chez le ministre rejoint ainsi La première enquête de Maigret et Les mémoires de Maigret.

Sans doute, au cours de sa carrière, devait-il avoir déjà eu cette impression-là, mais jamais, lui sembla-t-il, avec la même intensité. L’exiguïté de la pièce, sa chaleur, son intimité aidaient à l’illusion, et aussi l’odeur d’alcool de campagne, le bureau qui ressemblait à celui de son père, les agrandissements photographiques des « vieux » sur les murs : Maigret se sentait vraiment comme un médecin qu’on a appelé d’urgence et entre les mains de qui le patient a remis son sort.

Le plus curieux, c’est que l’homme qui, en face de lui, avait l’air d’attendre son diagnostic, lui ressemblait, sinon comme un frère, tout au moins comme un cousin germain. Ce n’était pas seulement au physique. Un coup d’œil aux portraits de famille disait au commissaire que Point et lui avaient à peu près les mêmes origines. Tous les deux étaient nés à la campagne, d’une souche paysanne déjà évoluée. (2007-VI : 499) 

Paris - Le qui des Orfèvres.

On comprend donc que l’empathie de Maigret pour Auguste Point fait une fois de plus de lui un « raccommodeur de destinées » (l'expression revient dans deux romans de la même période, Maigret et le corps sans tête et Un échec de Maigret), voire un médecin des âmes venu au chevet d’un malade. A la fin du roman, il aura rempli partiellement sa mission et lavé l’honneur de l’homme politique. Le sien aussi d’une certaine manière, bien des années après l’exil forcé de Luçon, en montrant que l’on peut quand même l’emporter contre « une force sons nom, sans visage, qu’il est impossible de saisir. » (2007-VI : 508). Pas de quoi toutefois le réconcilier avec la politique :

Maigret paraissait l’homme le plus calme de la Terre.

– Nous sommes trop habitués aux affaires criminelles, murmura-t-il pour lui-même, son verre à la main.

Il n’avait pas besoin qu’on lui donne la réplique. Il se la donnait mentalement.

– Dans une affaire criminelle, il n’y a d’ordinaire qu’un seul coupable, ou un groupe de coupables qui agissent de concert. En politique, c’est différent et, la preuve, c’est qu’on compte autant de partis à la Chambre.

Cette idée-là l’amusait. (2007-VI : 597)

Georges Simenon, Maigret chez le ministre © Paris, Presses de la Cité, 1955 et Omnibus, 2007.

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Tag(s) : #1954, #Paris, #Vendée et Charentes, #Bourbonnais, #Presses de la Cité
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