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Si les confrères de Georges Simenon – Henning Mankell (Kurt Wallander), John Rankin (John Rebus), Colin Dexter (Morse), Jo Nesbø (Harry Hole) pour ne citer que les plus connus – font avancer leurs enquêteurs dans leur carrière et dans leur vie et les accompagnent jusqu'à la vieillesse (Wallander) ou à la mort (Morse), Maigret est un cas à part du fait de l'absence de toute chronologie dans les romans. Ce n'est donc qu'au trentième volume de la série que les lecteurs découvrent La première enquête de Maigret.

Maigret est ici un jeune policier débutant. Protégé par le directeur de la Sûreté (future Police judiciaire), un ami de son père, il a connu depuis trois ans plusieurs services  gares, garnis, voie publique, grands magasins…  avant d’être affecté au commissariat du quartier Saint-Georges comme secrétaire du commissaire. Alors qu’il est de garde une nuit, il est amené à intervenir dans un hôtel particulier de la rue Chaptal suite à la déposition d’un passant qui a entendu un appel au secours suivi d’un coup de feu. L’enquête commence et la « méthode Maigret » se met en place.

Cette première intervention d'un Maigret de 26 ans, encore mince et arborant moustaches relevées au fer et chapeau melon, ne le satisfait pas entièrement puisque elle se conclut par la découverte que la haute société sait protéger les siens quand sa respectabilité est en jeu et que conséquemment, les véritables coupables ne sont pas toujours inquiétés. Elle lui ouvrira toutefois la porte du quai des Orfèvres grâce aux qualités que l'on connaît : un sens aigu de l'observation, le goût de travailler seul mais avec efficacité, les planques dans les bistrots, l’identification aux personnages à qui il est confronté, le désir de découvrir « l’homme nu » sous la carapace la plus solide, le goût de « raccommoder les destins », thème qui apparait pour la première fois : 

Il aurait été, en quelque sorte, un raccommodeur de destins. Pas seulement, parce qu’il était intelligent. Peut-être n’avait-il pas besoin d’être d’une intelligence exceptionnelle ? Mais parce qu’il était capable de vivre la vie de tous les hommes, de se mettre dans la peau de tous les hommes. (2007-IV : 576)

Sur fond d’une sordide histoire d’intérêt, de respectabilité et d'ambition sociale, La première enquête de Maigret plonge le commissaire dans le milieu des classes supérieures – ici la haute bourgeoisie commerçante –, un monde qu’il connait depuis l’enfance et le château de Saint-Fiacre, dans lequel il ne semble pas toujours à sa place (on ne se gêne pas pour le lui faire savoir), mais qui, finalement, ne l’impressionne pas. Il va donc son chemin sans s'inquiéter des différences et encore moins de l'opinion de son chef, le commissaire Le Bret, un mondain bien décidé à protéger ses relations au prix de quelques arrangements avec la vérité. Maigret devra lui aussi s'accommoder d'un des impératifs du métier : « Faire le moins de dégâts possible ».

Nous sommes ici en présence d’une « vraie-fausse » première enquête puisque 29 romans ont précédé le roman et cela se sent : Maigret est un peu trop sûr de lui dans sa méthode et ses conclusions, il fait preuve d’un certain culot en débarquant chez les gens en plein milieu de la nuit, n’hésite pas à tenir tête à son commissaire. Cela est certes atténué par ses doutes sur le métier de policier quand il comprend que l’affaire lui échappe, mais on adhère un peu difficilement au talent d’un jeune homme d’à peine trente ans sans grande expérience.

Chose assez rare, le roman est daté (13 avril 1913) et Simenon mentionne la visite d’un souverain à Paris qui mobilise toutes les forces de police. Fait-il ici référence à la visite du roi d’Espagne Alphonse XIII qui eut lieu cette même année ou à celle de Georges V l’année suivante ? Peu importe, mais il s’amuse à recréer l’ambiance de l’époque : l'électricité n'a pas encore totalement remplacé le gaz et les automobiles sont rares? Si ce n'est une De Dion-Bouton remarquée par de nombreux témoins, ce sont des fiacres qu’utilisent les Parisiens. Autre détail : dans le livre que lit de jeune Maigret en vue d’un concours, il est précisé qu’il est « recommandable que les inspecteurs possèdent chez eux l’habit noir, le smoking et la jaquette… ». Autres temps…

Cette première enquête n’est pas à placer parmi les « grands » romans ayant Maigret pour héros, mais est à prendre pour ce qu’elle est : un récit qui apporte des indications sur le personnage, nombreuses sur le plan professionnel, plus rares sur le plan personnel. Comme Les mémoires de Maigret (1950), La première enquête de Maigret nous éclaire surtout sur les rapports du créateur et de sa création. 

Georges Simenon, La première enquête de Maigret © Presses de la Cité, 1949 et Omnibus, 2007.

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Tag(s) : #1948, #Paris, #Presses de la Cité
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