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Maigret a de la chance ! Alors qu’il fait un temps de chien sur Paris et qu’il ne sait pas trop quoi faire de M. Pyke, son élégant et distingué collègue de Scotland Yard en mission d’observation, il est envoyé à Porquerolles pour enquêter sur le meurtre d’un certain Marcelin, qui s’est vanté d’être de ses amis la veille de sa mort. A peine arrivés sur l’île, les deux hommes découvrent dans le bar l’Arche de Noé la société disparate qui s’y réunit le soir : des petits truands – Charlot et ses machines à sous, Monsieur Emile et ses « maisons » , de riches oisifs  une héritière britannique et son secrétaire-gigolo, un fils de bonne famille en rupture de ban, un vieux major anglais alcoolique , des originaux qui se sont « encanaqués » et même une ancienne prostituée devenue tenancière de maison close que Maigret pensait avoir autrefois sorti définitivement du  métier. Comme quoi, les destinées ne sont pas toujours faciles à raccommoder.

Flanqué d’un collègue réduit à un rôle d’observateur participant, Maigret, qui n’a pas de méthode comme chacun sait, se contente de mener les choses à sa manière : il s’imprègne de l’ambiance, observe, a des conversations qui ressemblent parfois à des interrogatoires. Il ressent toutefois, du moins au début, une certaine gêne : « Le prendrait-on au sérieux s’il se mettait à rôder dans l’île en homme qui n’a rien d’autre à faire ? » Tout oppose en effet les deux policiers. Engoncé dans ses vêtements parisiens, Maigret se sent un peu mou et empoté, un « gros homme un peu balourd », face à son collègue qui a opté dès son arrivée pour les espadrilles et un chapeau de paille et prend des bains de mer. Surtout que M. Pyke se révèle indispensable pour expliquer les secrets de la personnalité des Anglais et perspicace dans son analyse des relations humaines, en particulier de « tous ceux qui sont sortis des rails ». Il sera même prémonitoire dans son évaluation de « garçons très dangereux ». De quoi amener Simenon à comparer leurs échanges à un match de boxe : « N’était-ce pas comme si l’Anglais avait gagné la première manche ? »

Mon ami Maigret.

Cette enquête dans le monde clos d’une petite île et dans le cadre encore plus fermé d'un bar où Maigret observe tout à loisir les personnages qui formaient l’environnement de la victime (comme il le fait dans Vente à la bougie, une nouvelle de 1941) donne un roman original où la couleur locale tendance Pagnol (pétanque, bouillabaisse, apéritifs anisés, accent chantant et espadrilles) tient son rôle. Une atmosphère de chaleur et de lumière qui incite au farniente, dans laquelle M. Pyke est immédiatement à l’aise et que Maigret semble lui aussi apprécier. L’arche de Noé, avec ses odeurs de cuisine méridionale, ne lui rappelle-il pas « un petit bar, à Cannes, tenu par une grosse femme, où il avait enquêté jadis et où il avait coulé des heures paresseuses », (Liberty Bar2007-IV: 704).

Les approches différentes du commissaire et de son collègue du Yard sont intéressantes, même si la « méthode Maigret » peut paraitre parfois brouillonne, et donnent lieu à des scènes et à des conversations non dénuées d’humour. Face à la finesse et à la perspicacité de Pyke, c’est pourtant l’intuition de Maigret qui le mène à la découverte de la vérité, une vérité qui lui fera prendre un coup de colère à laquelle le lecteur n’est pas habitué. Pourtant, à bien le connaître, on sait que, s’il peut comprendre les truands, il hait les crapules !

Georges Simenon, Mon ami Maigret © Paris, Presses de la Cité, 1949 et Omnibus, 2007.

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Tag(s) : #1949, #Côte d'Azur, #Gangsters et milieu, #Presses de la Cité
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