
Maigret, charmé par le printemps qui vient, perd de sa bonne humeur lorsque on lui dérobe son portefeuille alors qu’il fume sa pipe sur la plate-forme d’un autobus. Quelques heures plus tard, la rencontre avec François Ricain, son voleur « repenti », va lui faire découvrir le monde du cinéma et une certaine bohème parisienne. Son humeur baisse encore d'un cran quand Ricain le conduit dans son appartement ou il dit avoir découvert un peu plus tôt sa femme assassinée.
Le commissaire est tout autant désemparé par le comportement de Ricain que par un monde qu’il connait mal. Ricain ne lui fait-il ailleurs pas remarquer qu’il ne peut vraiment le comprendre, question de générations sans doute… C’est le monde de la nuit, loin de Pigalle, des truands et des cabarets, mais celui des fêtes et des discussions interminables dans les bars, également celui de la promiscuité entre les êtres et d’une liberté sexuelle qui va marquer les années soixante. L’évocation de certaines pratiques à faire bondir les féministes prend tout une autre dimension aujourd’hui :
– Et M. Carus ?
– Carus a autant de filles qu’il en veut, toutes celles qui ont envie de faire du cinéma ou de la télévisions…
– Il en profite ?
– Je crois… (2007-VIII : 800)
La peinture du milieu du cinéma (1) fait la force du roman. Ces jeunes filles et ces jeunes gens avides de réussite, tous liés autour de Carus, le producteur prodigue dont ils attendent beaucoup, ne sont finalement animés que par leur ambition et font peu de cas des liens qui pourraient les unir. Journaliste, scénariste, sculpteur… ce ne sont que des êtres qui ne se connaissent pas vraiment et qui, en fait, ne se respectent pas. La scène dans laquelle Maigret observe toute cette faune au Vieux pressoir où elle a ses habitudes, tel un gros chat qui attendrait le moment opportun pour attaquer, est à ce propos assez extraordinaire. Loin des enquêtes de voisinage – « Je t’avais bien dit que c’était celui-là… Je me demande s’il reviendra… Il parait qu’il fait tout lui-même et il y a des chances pour qu’il nous questionne les unes après les autres. » – c’est ici l’attente et la ruse que privilégie Maigret, comme au quai des Orfèvres quand il met un des témoins ou des suspects pendant des heures à la « glacière », la salle d’attente vitrée près des bureaux du commissaire et des inspecteurs.
Le voleur de Maigret est un roman atypique qui propose un plan compliqué échafaudé par l’imagination fertile d’un personnage intelligent mais instable – « Il passait sans transition de la déraison au bon sens, de la panique aveugle au raisonnement le plus lucide. » – qui se perd en voulant être trop intelligent, car l’intelligence est vaine si elle « ne s’appuie pas sur une certaine force de caractère ». Le roman est intéressant pour l’étude d’un milieu très différent de celui auquel Maigret est en général confronté – les beatniks sont rarement mentionnés dans l’œuvre – mais pèche par une intrigue un peu trop complexe pour être parfaitement crédible.
Georges Simenon, Le voleur de Maigret © Presses de la Cité, 1967 et Omnibus, 2007
1. Sur le monde du cinéma, Simenon écrit dans ses Mémoires intimes : « En écrivant un roman, je vois mes personnages et les connais dans leurs moindres détails, y compris ceux que je ne décris pas. Comment un metteur en scène, un acteur pourraient ils donner cette image qui n'existe qu'en moi ? Pas par mes descriptions, toujours brèves et sommaires, puisque je veux laisser au lecteur le soin de faire jouer sa propre imagination.» (Presses de la Cité, 1981)