Quand Maigret est réveillé en pleine nuit par son ami Pardon qui l’informe qu’il vient de soigner dans son cabinet une mystérieuse jeune femme blessée par balle, il ne se doute pas que cet événement va être lié le lendemain au meurtre dans un hôtel particulier proche du Parc Montsouris de Félix Nahour, joueur professionnel et membre d’une riche famille de banquiers libanais. Une fois établi que la jeune femme, Lina, est l’épouse de Nahour et qu’elle a été blessée le soir de la mort de son mari, il incombe à Maigret de tenter d’établir les circonstances du drame et de découvrir l’assassin.
Maigret et l’affaire Nahour se rattache au roman policier « classique », tel que le définit Cecil Saint-Laurent :
« Il y a roman policier lorsque le point de départ de l’ouvrage est une énigme singulière et que son développement est la recherche d’une solution, lorsque cette solution est conforme à la logique et aux connaissances de l’époque et ne fait appel ni au surnaturel ni à un excès de coïncidences contraires au bon sens. » Fereydoun Hoveyda, 1965, Histoire du roman policier, Préface dialoguée de Jean-Louis Bory et Cecil Saint-Laurent © Paris, Le Pavillon, Roger Martin Éditeur. p. 18-19.
La dimension sociologique est certes présente avec un Maigret confronté à une société qui ne lui est pas inconnue (Les caves du Majestic, Maigret et les vieillards, Maigret voyage) mais qu’il n’apprécie guère, celle des membres de la haute société (des banquiers, un riche propriétaire de mines d’or en Colombie), qui plus est ici de langue et de culture différentes. Si l’on ajoute le monde des cercles de jeux et des casinos qu’il connait mal (un collègue de la PJ lui fournit de précieuses informations), il peine à comprendre les conséquences de la mort de Felix Nahour et les motivations de son assassin.
– Vous croyez que c'est elle qui…
– Tu oublies que je ne crois jamais rien avant la fin d'une enquête.
Il ajouta avec un sourire sceptique :
– Et encore ! (2007-VIII : 704)
Le schéma de départ de Maigret et l’affaire Nahour est pourtant simple, un homme assassiné dans son bureau et quatre témoins qui sont autant de suspects : l’épouse de Nahour et son amant, avec qui elle voulait refaire sa vie ; le secrétaire et homme de confiance de la victime ; la femme de chambre (« la hollandaise type des boites de cacao » ! – 668). Sans oublier une femme de ménage acariâtre, magnifiquement décrite par Simenon :
Louise Bodin entra, le visage buté, avec une expression de défi. Maigret connaissait ce type-là, celui de la majorité des femmes de ménage de Paris, des êtres qui ont souffert, que la vie a malmenés et qui, sans espoir, attendent une vieillesse encore plus pénible. Alors, elles se durcissent, et, méfiantes, en veulent au monde entier de leurs malheurs. (2007-VIII : 664)
Conscient que mener comme à son habitude une enquête de proximité (bistrots, commerçants) et tirer les sonnettes (concierge, occupants de l’immeuble) ne servirait à rien dans cette affaire en lieu clos, Maigret doit se résoudre à ne se fier qu’à son seul raisonnement après avoir interrogé et réinterrogé les témoins. Ce qui n’est pas facile quand « tout est faux et que tout le monde ment » ou que les protagonistes font mine de ne pas comprendre les questions, la femme de chambre par exemple.
Il y avait tant de pourquoi qu’il ne pouvait que les aborder un à un. Rien n’était clair. Rien n’était net. Rien ne se passait comme dans d’autres familles, dans d’autres foyers. (2007-VIII : 679)
C’est grâce à ce raisonnement que Maigret parvient à croiser les informations sur les motifs de chacun et à amener deux des témoins/suspects à se livrer. Cela aboutit à la résolution d’une affaire où le ressentiment et la jalousie amoureuse conduisent à la vengeance. Commencée dans le cabinet du Dr Pardon, un des seuls amis de Maigret, qui comme lui, se penche quotidiennement « sur les maladies des hommes et de la société ». (653), l’enquête sur l’assassinat de Félix Nahour rejoint ainsi les autres affaires, importantes ou non, dont Maigret aura eu à s’occuper.
Il y a des affaires qui se présentent dès le début sur un jour dramatique et qui obtiennent aussitôt de gros titres à la première page des journaux. D’autres, banales en apparence, ne méritent que trois ou quatre lignes en sixième page avant qu’on s’aperçoive qu’un simple fait divers cachait en réalité un drame auréolé de mystère. (2007-VIII : 660)
Georges Simenon, Maigret et l’affaire Nahour © Paris, Presses de la Cité, 1966 et Omnibus, 2007