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 Le colonel Ward, un riche homme d’affaires, est trouvé noyé dans la salle de bains de sa suite de l'Hôtel George-V. Par ailleurs, la comtesse Palmieri, sa maîtresse, qui a tenté de se suicider la nuit précédant la découverte du corps, s’est enfuie de l’hôpital où elle avait été admise. Parti à sa recherche, Maigret va de palaces en hôtels de luxe, entre Nice et Lausanne, avant de terminer l’enquête à Paris, entre les Champs-Elysées et son bureau du quai des Orfèvres.

Maigret voyage, à travers le récit d’une enquête essentiellement menée à base de témoignages, est avant tout une peinture du monde très fermé de la finance internationale telle qu’elle était perçue à la fin des années cinquante. Maigret, qui n’a guère d’estime pour ceux qui constituent les hautes sphères de la société, va une fois de plus s’attacher à « oublier les différences de surface qui existent entre les hommes » et à « gratter le vernis pour découvrir, sous les apparences diverses, l’homme tout nu ». Cette idée de l’homme nu, récurrente chez Simenon, est ici au centre d’une formidable étude de mœurs : Maigret, en policier qui côtoie tous les milieux, voit les femmes et les hommes tels qu’ils sont, une fois tombée la carapace de la respectabilité. Ne découvre-t-on pas d’ailleurs au début de l’enquête la victime dans sa baignoire et, plus tard, un témoin ne le reçoit-il pas alors qu’il est nu sur sa table de massage ? La « petite comtesse » n'est pas mieux traitée, en robe de chambre dans sa chambre d’hôtel, défaite – « un cerne profond, bleuâtre, cernait ses paupières » – et vieillie prématurément. Les masques tombent – la comtesse Palmieri boit « le whisky au goulot comme une pocharde des quais boit un grand coup de rouge » – et les apparences sont devenues vaines à cacher les peurs et le besoin de protection.

Ce souci des apparences oblige Maigret à être discret et à faire preuve d'une grande discrétion, comme se plaisent à lui rappeler le directeur d’un des palaces, inquiet des fuites vers la presse, ou le procureur qui a reçu des instructions en faut lieu. Cette obsession de la prudence tourne au comique quand le corps de la victime, « l’un des clients les plus prestigieux de l’hôtel », quitte presque clandestinement l’établissement par le monte-charge, le « chemin des malles et des gros bagages ».

Mais l’on connait l’habileté de Maigret à aller au plus profond des couches de la société, à observer comme un entomologiste celles et ceux qui constituent le cercle des oisifs fortunés et des célébrités évoluant entre Paris, Monte Carlo et la Suisse. Tout cela avec une prudence de Sioux, lui qui a « en horreur ces histoires de personnages trop connus dont on ne peut s’occuper qu’en mettant des gants. »

Mais les riches et les puissants ont leurs faiblesse et Maigret voyage se révèle être finalement un roman sur la préservation à tout prix du statut social et des avantages qui y sont attachés, et sur ce qui peut pousser un être à tuer par peur de voir disparaître ces avantages.

Est-ce que c’était une raison suffisante ? Maigret commençait à le penser et, du coup, la mort du colonel Ward prenait un nouvel aspect.

Quelqu’un, dans son entourage, s’était trouvé, ou s’était cru menacé, d’avoir soudain à vivre comme tout le monde et n’en avait pas eu le courage.

Encore fallait-il que la disparition de Ward permette à ce quelqu'un là de continuer à mener l'existence à laquelle il ne pouvait renoncer. (2007-VII : 215)

 Dans un avant-dernier chapitre époustouflant, c’est en pénétrant le monde de luxe et d’oisiveté du George-V où il se sent « indésirable » et où tous, y compris le petit personnel, le regardent avec suspicion, qu’il confond les coupables, aidé par sa connaissance de la vie des mondains (Pietr le Letton) et des coulisses des palaces (Les caves du Majestic). Et également au prix de déplacements improvisés auxquels il n’est guère habitué et qu’il n’apprécie pas.

Ce qui le fâchait le plus, c’était l’impression qu’on avait en quelque sorte décidé de ses faits et gestes. Il ne venait pas à Lausanne parce que c’était son idée d’y venir, mais parce qu’on lui avait tracé un chemin qui y conduisait, bon gré, mal gré. (2007-VII : 185)

Il n’est donc pas surprenant que la conclusion de l’enquête ait pour cadre l’univers familier et rassurant du bureau du quai des Orfèvres, où ceux « qui font partie d’un certain monde et qu’on rencontre dans les palaces » ne sont plus que des êtres effondrés qui ont perdu la partie.

Georges Simenon, Maigret voyage © Paris, Presses de la Cité, 1958 et Omnibus, 2007.

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Tag(s) : #1957, #Paris, #Côte d'Azur, #Presses de la Cité
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