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Le point de départ de Maigret en meublé est assez banal : l’un des auteurs d’un vol à main armée dans une boîte de nuit de Montparnasse, rapidement identifié mais en fuite, logeait dans un immeuble de la rue Lhomond où Mlle Clément loue des chambres et des petits appartements en meublé. Ce qui l’est moins, c’est que l’inspecteur Janvier a été grièvement blessé d’un coup de revolver alors qu’il surveillait les lieux. Ce dernier événement pousse Maigret à prendre les choses en main et, comme Mme Maigret est absente de Paris, à s’installer quelques jours chez Mlle Clément, près du Panthéon et de la rue Mouffetard.
L’enquête le fait s’intéresser à la vie et à l’intimité de la communauté des locataires – que des gens bien qui ne sauraient être soupçonnés d’avoir tiré sur un policier, comme ne cesse de lui répéter Mlle Clément – dans ce quartier alors familial, presque provincial, au cœur de Paris. Ce qui donne lieu à une galerie impressionnante de portraits, à rapprocher de ceux des habitués de la pension Vauquer dans Le père Goriot où des résidents de l’immeuble que décrit Georges Pérec dans La vie mode d’emploi. Ici aussi, les locataires constituent un monde en miniature, comme un Paris condensé :
Il y avait une grosse fille au regard enfantin qui jouait à tenir une maison meublée, un vieux cabot qui donnait des leçons de chant à des gamines en mal d’Opéra, un étudiant qui crevait de faim qui qui luttait contre le sommeil dans l’espoir d’accrocher un jour une plaque de médecin ou de dentiste à sa porte ; il y avait une petite putain paresseuse qui lisait à longueur de journées des romans dans son lit, où elle recevait un vieux monsieur trois fois la semaine, et une jeune dactylo qui se faisait ramener de nuit en taxi ; il y avait les Lotard avec leur bébé, les Saft qui en attendaient un ; M. Kridelka qui avait l’air d’un traitre de cinéma et qui était probablement l’homme le plus doux de la terre…
De braves gens, comme disait Mlle Clément. Des gens comme il y en en partout, qui devaient trouver chaque jour assez d’argent pour manger et chaque mois assez d’argent pour payer leur loyer. (2007-V : 421)
Aucun des braves gens à la vie d'une « banalité désespérante » n’ayant pu en vouloir à Janvier, Maigret étend ses recherches à l’environnement immédiat de l’immeuble, interrogeant les patrons de bistrots (en consommant pas mal de verres de vin blanc) et les concierges, qui, on le sait, occupent une grande place dans la série. Cela l’amènera à s’intéresser à la mystérieuse occupante d’un appartement de l’autre côté de la rue et à remuer des passés assez troubles. Finalement, il raccommodera une fois de plus les destins, en partie seulement parce qu’il faut bien arrêter les coupables…
Dans son introduction au cinquième volume de Tout Maigret paru chez Omnibus, Michel Carly rappelle l’attachement de Simenon pour Maigret en meublé : « Personnellement, je l’aime beaucoup. C’est très sourd, très feutré, un peu comme une étude en mineur. » (Lettre à Sven Nielsen, 13 février 1951) Il est vrai que le roman est une excellente étude de mœurs, avec des portraits saisissants, le plus intéressant étant celui de Mlle Clément, qui veille avec bienveillance et bonne humeur sur son assemblée de locataires, tous « très bien et charmants » et qui prend immédiatement Maigret en affection :
Il la soupçonna d’agir de même avec tous ses locataires, non par servilité, ni par conscience professionnelle, mais par goût. Il se demanda même si ce n’était pas une sorte de Mme Maigret, une Mme Maigret qui n’aurait pas eu d’homme à soigner et qui s’en consolait en dorlotant ses locataires. (2007-V : 385)
Georges Simenon, Maigret en meublé © Paris, Presse de la Cité, 1951 et Omnibus, 2007.