Antoine Batille, un fils de bonne famille dont la passion est d’enregistrer des conversations sur son magnétophone portatif, est tué de plusieurs coups de couteau dans la rue Popincourt, pas très loin de chez Maigret. Peu d’indices, si ce n’est un échange entre de mystérieux personnages sur la dernière cassette enregistrée par le jeune homme qui met la police sur la trace de malfaiteurs dévalisant des résidences de la région parisienne.
Tout commence de façon classique, avec un crime a priori inexplicable menant à une enquête qui met en avant le professionnalisme des inspecteurs de la Brigade criminelle ainsi que la collaboration entre services de la Police judiciaire. Il y a même de l’action, quand, par exemple, les hommes de Maigret s’associent à ceux de la Sûreté pour traquer les voleurs de mobilier et de tableaux : « Car, pour du cinéma, ce fut vraiment du cinéma, comme ils savent en organiser rue des Saussaies. » (2008-IX : 301)
Mais on sait que la fausse piste est incontournable dans tout roman policier, son but étant de mettre le lecteur-détective en haleine et, dans le cas du roman à énigme, de compliquer sa réflexion. Hélas pour le commissaire, une fois établie l’absence de rapport entre les cambrioleurs et la mort de Batille, aucune piste ne lui permet de poursuivre son enquête… C'est alors que le meurtrier, un homme perturbé psychologiquement qui n’accepte pas que la presse diffuse des informations fausses, contacte Maigret avant de se livrer à la police à la fin du roman.
L’artifice peut sembler grossier, même si l’on sait que ce type de profil est réel, surtout chez les tueurs en série. Il faut considérer ici la volonté de Simenon – à la manière de Patricia Highsmith avec ses personnages désadaptés1 – de ne pas se contenter de livrer la clé de l’énigme mais de montrer ce qui s’est passé dans l’esprit du criminel. Un exercice dans lequel Maigret excelle, le criminel étant pour lui souvent une victime. L'occasion pour Simenon, par la bouche du président de la Cour d’assises dans les dernières lignes du roman, de pointer les failles d’une institution judiciaire qui condamne mais n’est pas en mesure de soigner efficacement des femmes et des hommes victimes de pulsions meurtrières irrépressibles.
Au portrait d’un homme solitaire aux abois, Maigret et le tueur oppose un Maigret profitant d’une vie plus sereine, prenant le temps de déjeuner chez lui, de regarder la télévision ou d’aller au cinéma avec Mme Maigret, et même de jouer aux cartes au café de Meung-sur-Loire. Un homme relativement heureux, comme la plupart des hommes, avoue-t-il.
C’était un de ses plus sûrs plaisirs. Après quelques pas, Mme Maigret s’accrochait à son bras et ils avançaient lentement, S’arrêtant parfois pour regarder un étalage. Ils n’avaient pas une conversation suivie, parlaient de choses et d’autres, d’un visage qui passait, d’une robe, de la dernière lettre reçue de sa belle-sœur. (2008-IX : 341)
1 - « Je m'intéresse à la partie de l'esprit que la psychologie ne peut ni diminuer, ni dénicher et encore moins bannir : à savoir, l'âme. Je m'intéresse aux insatisfactions de cette partie de nous-mêmes à jamais frustrée, qui voudrait être autre, pas forcément mieux, pas forcément plus riche, plus à l'aise, ou même heureuse, simplement autre.» Patricia Highsmith (2021), Journaux et carnets, trad. fr de Patricia Highsmith, Her Diaries and Notebooks par Bernard Turle © Paris , Calmann-Lévy
Georges Simenon, Maigret et le tueur © Paris, Presses de la Cité, 1969 et Omnibus, 2008