Léonard Planchon, un artisan-peintre honnête et travailleur ne voit pas poindre le drame quand l’un de ses employés déploie son emprise sur son activité professionnelle et s’immisce dans sa vie privée. Chassé de chez lui, dépossédé de son honneur et de sa dignité, séparé de sa petite fille qu’il adore, plongeant dans l’ivrognerie, Planchon confie un soir à Maigret – qu’il a fini par suivre jusque chez lui, boulevard Richard-Lenoir, après l’avoir harcelé au quai des Orfèvres – qu’il ne pense qu’à tuer sa femme et l’amant de celle-ci.
– A présent, vous voulez la tuer ?
– Je ne vois pas d'autre solution… Nous avons été heureux tous les trois… Renée n'était peut-être pas une bonne ménagère… Je ne veux rien dire de mal sur son compte… Elle a passé son enfance dans une ferme où on ne se préoccupait guère d'ordre et de propreté... Dans le marais, là-bas, on appelle ces fermes-là des cabanes et il arrive, l'hiver, que l'eau envahisse les pièces… » (2007- VIII : 19)
Personnage à la fois noble et pitoyable de par sa faiblesse, enfermé dans un dilemme sans échappatoire, il intrigue Maigret et attire même sa sympathie, bien que celui-ci soit bien en peine de mener une enquête sur un crime qui n’a pas été commis.
Il devinait, chez Planchon, un côté pathétique qui le déroutait. On avait l’impression d’une passion contenue, d’une détresse écrasante en même temps que d’une extraordinaire patience.
Cet homme-là, il en aurait mis la main au feu, avait peu de contacts avec ses semblables et, chez lui, tout se passait à l’intérieur. (2007-VIII : 15 )
Dans ce roman fondé sur l’analyse psychologique d’un personnage, le commissaire ne peut compter que sur son instinct : ni d’indice ni éléments troublants, seulement un cheminement inévitable vers la révélation d’une machination meurtrière. Ce roman sans véritable enquête vaut surtout par le fait que celui qui voulait venger son honneur bafoué devient la victime sans que Maigret puisse arrêter le cours des choses.
Ironie de l’histoire, c’est sa déposition aux assises qui permet aux coupables de bénéficier des circonstances atténuantes ! Un comble pour celui qui pardonne rarement à ceux dont les crimes ont l’argent pour motif mais qui a juré de dire « la vérité, toute la vérité et rien que la vérité ». D’où un goût amer de culpabilité pour un Maigret qui reste sur l’impression d’avoir trahi celui qui lui avait accordé sa confiance.
Le client du samedi permet aussi à Simenon d’opposer au personnage de Planchon, qui assiste impuissant à la décomposition de sa vie familiale, un Maigret que l’on a rarement vu passer autant de temps chez lui, boulevard Richard-Lenoir, en compagnie Mme Maigret avec qui, délaissant le cinéma, il profite des programmes de la télévision. Un couple qui s’inscrit dans la durée et la complicité, à l’inverse des deux amants meurtriers se rejetant les responsabilités au tribunal et dont les regards de haine font passer des frissons dans l’assistance. Une attitude que l’on retrouve chez deux autres couples, également comparés à des fauves, dans La patience de Maigret et dans Maigret et l’indicateur.
Georges Simenon, Maigret et le client du samedi, © Paris, Presses de la cité, 1962 et Omnibus, 2007