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Maigret et l’homme tout seul est intéressant à double titre. D’abord, l’antépénultième roman de la série est une fois de plus l’occasion pour Maigret de chercher l’identité puis de reconstruire l’existence d’un inconnu, ici un homme retrouvé assassiné dans un immeuble du quartier des Halles (qui n’avaient pas encore été transférées à Rungis). Une entreprise menée de main de maître pour Louise dans Maigret et la jeune morte et Omer Calas dans Maigret et le corps sans tête. Ensuite, Simenon revient sur un des thèmes qui l’a fasciné depuis son entrée en écriture, celui de la clochardisation assumée, présent dans Maigret et le clochard et, dans une certaine mesure, Le charretier de la providence. Un thème à rapprocher de celui de la double vie – qui, pour Marcel Vivien, précède son installation dans le quartier des Halles – comme dans Monsieur Gallet décédé, Maigret et l’homme du banc et Maigret et Monsieur Charles.
Comme dans Maigret et la jeune morte, le commissaire ne dispose pas de grand-chose comme point de départ. Des lieux anonymes, la rue pour Louise, un immeuble voué à la démolition de l’impasse du Vieux-Four pour l’inconnu. Des vêtements de location pour la jeune femme, des hardes pour le clochard. Pourtant, par petites touches, à partir d’observations (les cheveux bien coupés de l’homme), de rapports d’expertise et, surtout d’enquêtes de voisinage dans les bars, les restaurants et auprès des concierges, un profil s’ébauche et la chair recouvre progressivement le squelette : Maigret façonne Vivien comme il a « construit » Louise.
L’existence de l’homme que Maigret reconstitue l’amène à plonger vingt ans en arrière, et à finalement résoudre deux affaires criminelles. La double enquête alterne les investigations du présent (identification du corps, contacts avec la famille…) et les retours sur le passé pour tenter de comprendre ce qui s’est passé au cours de cette période. Ce qui implique de relire de vieux rapports d’enquêtes, de consulter les archives du Parisien libéré et de mobiliser les souvenirs de quelques rares témoins. Un travail fastidieux qui ne mène finalement pas loin, jusqu’à ce qu’un coup de téléphone anonyme (on n’en saura pas plus) agisse comme un deus ex machina en mettant Maigret sur la bonne voie. Pour les amateurs de romans policiers, le procédé est osé
Ce patient travail fait apparaître la personnalité d’un homme apparemment ordinaire, artisan, époux et père modèle, qu’un coup de folie amoureuse conduit au meurtre, à la déchéance et à la solitude. Celle-ci est ici vue comme une punition volontaire motivée par la double honte d’avoir abandonné sa famille et d’avoir tué. Vivien ne sombre pas comme d’autres dans la clochardisation : il reste propre, ne mendie pas, ne boit pas. Il ne fréquente pas non plus les femmes et les hommes à la dérive qui hantent le quartier des Halles. Pendant de longues années, il n’est qu’un homme seul qui vit ainsi une sorte d’expiation. Cette histoire navrante devient ainsi celle de deux vies ratées et de deux solitudes avec le personnage de Mahossier, lui aussi meurtrier, qui, une fois arrêté et abandonné par sa femme, se retrouve dans la situation qu’a connue Vivien vingt ans plus tôt. Une enquête qui laisse Maigret abattu, comme s’il n’avait pas pu raccommoder ces deux destins…
Maigret et l’homme tout seul est l'un des rares romans de la série précisant l’année de l’enquête (1965). Simenon revient par ailleurs sur un épisode de la carrière de Maigret, son « exil » à Luçon, en Vendée (La maison du juge).
Sur l’environnement de Maigret et l’homme tout seul, voir Jean-Louis Robert, Le commissaire Maigret aux Halles : https://books.openedition.org/psorbonne/4488?lang=fr
Georges Simenon, Maigret et l’homme tout seul © Presses de la Cité 1971 et Omnibus, 2008